Koshien, tournoi nostalgique et mythique creuset du yakyu, le baseball japonais
Koshien, tournoi nostalgique et mythique creuset du yakyu, le baseball japonais
Par Philippe Mesmer (Stade du Koshien, Hyogo, envoyé spécial)
Ce tournoi centenaire réunit traditionnellement chaque mois d’août au Japon les meilleures équipes lycéennes de baseball. Un sport importé au XIXe siècle des Etats-Unis et très populaire dans l’archipel.
L’équipe du lycée de Tohoku lors du Koshien 2011. / JIJI PRESS / AFP
Le suspense n’a pas duré bien longtemps. La finale du tournoi japonais de baseball lycéen, plus connu sous le nom de « Koshien », a consacré, mardi 21 août, la domination d’une véritable machine à gagner, le lycée Toin d’Osaka. Déjà vainqueur à sept reprises depuis la création en 1988 de son club de baseball, l’établissement l’a une nouvelle fois emporté.
Il a dominé sur le score de 13 à 2 le lycée agricole Kameno, du département d’Akita, dans le nord de l’île principale, dont l’arrivée en finale a enthousiasmé sa région d’origine. La dernière fois qu’un établissement de ce département a atteint ce niveau, c’était il y a cent trois ans ! C’est peu dire que les habitants de la région étaient fiers. Dans ce lycée public, on ne peut pas jouer l’hiver, à cause de la neige, et tous les joueurs sont originaires du coin. Ils n’ont pas été recrutés par des « scouts » aux quatre coins du Japon.
Les fans pourront se consoler, car leur équipe a été portée par celui qui s’annonce déjà comme une future star du baseball nippon : Kosei Yoshida, qui lance à plus de 150 km/h – en moyenne, au Koshien, c’est plutôt de 120 à 130 km/h – et figure déjà en bonne position de la draft des équipes professionnelles, tout comme deux joueurs de Toin.
Quarante-neuf équipes concurrentes
Le lycée Toin, lui, entre un peu plus dans la légende d’un tournoi imaginé en 1915 par le directeur du quotidien Asahi, Ryohei Murayama, et qui est une institution dans un pays fou de cette pratique venue d’Amérique à la fin du XIXe siècle et quasiment accaparée par les Japonais. Il est le seul sport importé à conserver un nom strictement nippon, « yakyu ». Même le football, appelé « shukyu » avant et pendant la guerre quand les mots anglais étaient bannis, est vite redevenu le « soccer ».
L’édition 2018 du Koshien d’été était la centième, le tournoi ayant été suspendu en 1918 et pendant la deuxième guerre mondiale. « Un été à ne jamais revivre est un été sans le bruit de la batte frappant la balle et les encouragements des fans dans les tribunes », pouvait-on lire dans une tribune de l’Asahi du 14 août, veille de l’anniversaire de la fin du conflit.
Chaque année, dans la touffeur d’août – le mois de vacances des écoliers japonais –, le Koshien réunit 49 équipes, une pour 45 des 47 départements du pays, et deux pour ceux de Tokyo et d’Hokkaido. Avant la guerre, quand la Corée et Taïwan faisaient partie de l’empire du Japon, des équipes de ces territoires y participaient. Ainsi, dans les années 1930, l’équipe du lycée agricole Kano de la ville taïwanaise de Kagi (aujourd’hui Chiayi) s’est qualifiée à quatre reprises pour ce tournoi. Elle réunissait des Japonais, des Aborigènes et des Chinois. Son aventure a inspiré le film taïwanais Kano, réalisé en 2014 par Umin Boya.
Un joueur du lycée Saibi lors du tournoi 2013. / JIJI PRESS / AFP
Rituels immuables
Le stade du Koshien a ouvert ses portes le 1er août 1924. Il s’agissait à l’époque du plus grand stade d’Asie. Il pouvait accueillir 55 000 spectateurs, et sa conception s’inspirait fortement des Polo Grounds de New York, construits à la fin du XIXe siècle pour le baseball et le football américain.
Le légendaire joueur de baseball Babe Ruth (1895-1948) y a joué un match de gala lors de sa tournée au Japon en 1934. Une plaque rappelle cet événement. Le stade est aussi connu pour sa fameuse Yakyu no to (« tour du baseball ») en béton et son musée d’un tournoi qui conserve une atmosphère délicieusement désuète.
Cette ambiance tient beaucoup aux rituels immuables qui accompagnent la compétition : la prestation de serment le premier jour, l’habitude des joueurs de ramasser un peu de la terre du terrain qu’ils garderont en souvenir ou offriront à ceux qui les ont soutenus, la sirène qui retentit au début de chaque match.
« Les uniformes rétro, le niveau de jeu élevé, le légendaire stade Koshien, tout cela me rappelle l’excitation d’aller au Yankee Stadium dans les années 1960 pour voir Mickey Mantle [légendaire joueur de la franchise new-yorkaise] », s’amuse James Whitlow Delano, photographe américain basé à Tokyo.
Antichambre du professionnalisme, le tournoi pousse les participants à se donner à fond. Chaque édition a ses héros. Certains plus que d’autres. Ainsi Koji Ota, du lycée Misawa d’Aomori, fut le héros d’une rencontre épique du tournoi de 1969, jouée sur deux jours et en 18 manches, contre 9 normalement. Le match avait été interrompu par la nuit tombante le premier jour, alors que les deux équipes étaient toujours à 0-0. Ayant attiré une audience record à la télévision nippone, la rencontre finit sur la défaite douloureuse de Misawa et du bel Ota, dont la qualité de lanceur et le charme avaient conquis le cœur des Japonaises.
« Nito-ryu », technique de samouraïs
C’est aussi pendant ces tournois qu’émergent les futures stars du baseball, comme Ichiro Suzuki, Hideki Matsui, dit « Godzilla », ou encore Daisuke Matsuzaka. L’un des derniers en date est Shohei Ohtani, qui après avoir joué au Koshien avec son lycée d’Hanamaki (département d’Iwate, nord) et s’y être illustré avec des balles lancées à près de 160 km/h, a été recruté par l’équipe professionnelle des Nippon Ham Fighters d’Hokkaido avant d’aller jouer pour les Angels de Los Angeles, en Major League américaine, le rêve de tous les joueurs.
Surnommé le « Babe Ruth japonais », Shohei Ohtani tente de devenir le premier, depuis le fameux Babe en 1919, à jouer à la fois comme batteur et lanceur. Les Japonais appellent cette capacité « nito-ryu », technique de combat des samouraïs avec deux sabres.
Le joueur des Los Angeles Angels Shohei Ohtani, star de la MLS, s’est révélé au Koshien. / Kevin Jairaj / USA TODAY Sports
Au Koshien, les exploits sont abondamment relayés par les médias. Comme souvent dans l’archipel, un tel succès excite l’imagination des auteurs de mangas. Parue de 1972 à 1981 puis réalisée en dessin animé, Dokaben, de Shinji Mizushima, fut ainsi l’une de ces nombreuses séries à succès.
Pour les mangakas, le Koshien reste un puits d’inspiration. Le stade est toujours plein. Hormis les pom-pom girls et les orchestres des deux équipes s’affrontant pacifiquement à coup de décibels et de chorégraphies savamment répétées, le public ne prend guère partie. On applaudit les beaux gestes, tout simplement. Tel lancer qui surprend un batteur, tel coup qui trompe les joueurs de champ, tel plongeon pour attraper une balle et mettre « out » le batteur… Le public apprécie en connaisseur. Une mère venue avec son fils et un de ses camarades l’avouent : « On ne soutient personne. Ils adorent le baseball, c’est tout. »
La centième édition du Koshien d’été coïncide avec les efforts du Japon pour promouvoir le baseball. Le sport fut olympique jusqu’en 2008 avant d’être retiré des compétitions en 2012 et 2016. Il va faire son retour pour les jeux de Tokyo de 2020, avec le softball féminin. Sans surprise, le Japon, médaillé d’or en 2008 dans les deux disciplines, fait partie des favoris.