Après la canicule et les incendies, les régions du nord de l’Europe – notamment l’Allemagne, la Suède, la France et le Royaume-Uni –, moins habituées au manque d’eau que les pays méditerranéens, font face à une sécheresse qui inquiète les éleveurs. Confrontés à un manque de fourrage, ceux-ci craignent de devoir pratiquer des abattages massifs.

En France, « il n’y a plus d’herbe »

« Nos vaches vivent depuis la mi-juillet grâce au foin récolté en juin, il n’y a plus d’herbe », témoigne Jean-Guillaume Hannequin, agriculteur dans l’est de la France, qui se demande comment il va nourrir son bétail cet hiver.

« Dans beaucoup d’endroits, même dans le Massif central, le château d’eau de la France, il n’y a pas de deuxième coupe d’herbe, c’est très préoccupant, explique Patrick Bénézit, responsable de l’organisation agricole FNSEA, qui compare la situation à celle de la canicule de 2003. Il dénonce « une spéculation assez désagréable » sur les prix de la paille, que les éleveurs mélangent au foin pour nourrir le bétail, qui coûterait cette année jusqu’à 100 euros la tonne, contre 60 à 80 euros l’an dernier.

Du côté de l’élevage laitier, « l’hiver risque d’être catastrophique, confie un éleveur. Pour compléter les rations des animaux, il va falloir acheter des céréales qui, elles, ont vu leur prix monter cet été. Le lait va être de plus en plus cher à produire, les coûts de revient vont augmenter. » Les cours de la viande pourraient aussi baisser si les abattages de bêtes se multiplient.

En Suède, des craintes pour les rennes

En Suède, où des feux de forêts ont détruit des milliers d’hectares desséchés en juillet, la Fédération des agriculteurs parle de la « pire crise depuis plus de cinquante ans ».

« La plupart des agriculteurs ont distribué aux animaux durant l’été les réserves de fourrage qu’ils avaient constituées pour l’hiver », explique Harald Svensson, chef économiste de l’agence gouvernementale suédoise de l’agriculture. Il annonce aussi une chute historique de 29 % de la production suédoise de céréales par rapport à 2017.

Les éleveurs sami, en Laponie, alertent sur les risques de famine des 250 000 rennes semi-sauvages dont les pâturages ont brûlé ou ont été touchés par la sécheresse. Le gouvernement a débloqué une aide de 1,2 milliard de couronnes (117 millions d’euros) pour acheter du fourrage et éviter les abattages d’urgence.

En Allemagne, 340 millions d’euros d’aides

Berlin a annoncé mercredi le déblocage de 340 millions d’euros pour indemniser les agriculteurs allemands, après quatre mois d’une sécheresse inédite. Les dommages sur les céréales et l’élevage ont été évalués à 680 millions d’euros, et menacent de fermeture 10 000 exploitations allemandes, soit une ferme sur 25.

En Basse-Saxe, grande région agricole du pays, l’inquiétude est grande pour les exploitations fourragères dont la production est inférieure d’au moins 40 % à celle d’une année normale.

La pénurie de céréales prive les agriculteurs de fourrages pour leurs bêtes et en fait, mécaniquement, grimper les prix. De nombreux producteurs laitiers se sont d’ores et déjà résolus à vendre leur bétail et le nombre de vaches abattues a bondi de 10 % dans les deux premières semaines de juillet.

Asel-Süd, dans le centre de l’Allemagne. / BORIS ROESSLER / AFP

Au Royaume-Uni, 18 % d’abattages en plus

Loin de l’image idyllique des vertes prairies anglaises, la Grande-Bretagne n’a pas connu de sécheresse comme cette année depuis quatre-vingts ans, selon l’organisme public Agriculture and Horticulture Development Board (AHDB). La collecte de lait est en forte baisse du fait du manque d’herbe.

Le coût du fourrage ayant bondi, beaucoup de bêtes ont été envoyées à l’abattoir plus tôt que d’habitude. En Grande-Bretagne, l’abattage de bovins a été 18 % plus élevé que l’an dernier en juillet, avec une bonne partie de vaches laitières, selon l’AHDB.

En Suisse, l’armée envoie de l’eau aux vaches

L’armée suisse a mobilisé début août des hélicoptères pour acheminer de l’eau vers les alpages du Jura et des Alpes suisses où des milliers de vaches sont affectées par la sécheresse et la canicule. Chaque animal doit consommer jusqu’à 150 litres d’eau par jour. « Nous avions déjà dû héliporter de l’eau parfois, mais jamais autant (…) A long terme, on ne pourra pas continuer ainsi », a déclaré à Reuters TV Grégoire Martin, un éleveur de Rossinière possédant 68 vaches et 90 veaux.

Le gouvernement suisse a détaillé le 6 août un plan d’aide aux éleveurs touchés par la sécheresse, avec réduction des droits de douane perçus sur les importations d’aliments pour le bétail et déblocage de prêts à taux zéro.

Des hélicoptères de l’armée ont été mobilisés pour distribuer de l’eau aux vaches en Suisse. / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

L’Europe propose un versement anticipé des aides

Pour Erwin Schöpges, président de l’European Milk Board à Bruxelles, qui regroupe 100 000 petits producteurs laitiers européens, les aléas climatiques ne font qu’accentuer une situation déjà critique pour les éleveurs : « Sans cette sécheresse, les coûts de production sont déjà loin d’être couverts. On parle, pour toute l’Europe, de coûts autour de 40 à 45 centimes », alors que le prix de vente du lait en Europe « tourne autour de 30 à 33 centimes ».

Pour desserrer l’étau, la Commission européenne a promis début août plusieurs mesures, comme le versement anticipé de certaines aides et des dérogations pour permettre d’utiliser l’herbe des jachères comme fourrage.