Démission de Nicolas Hulot : « le ministre a sans doute sous-estimé le poids réel des lobbys »
Démission de Nicolas Hulot : « le ministre a sans doute sous-estimé le poids réel des lobbys »
Les réponses des journalistes du service Planète du « Monde » à vos questions sur l’annonce du ministre de la transition écologique et solidaire.
Nicolas Hulot a annoncé, mardi 28 août, dans la Matinale de France Inter, son départ du ministère de la transition écologique et solidaire. Simon Roger, Pierre Le Hir et Rémi Barroux, journalistes au service Planète du Monde, ont répondu, dans un tchat, aux questions sur les raisons et les enseignements de cette démission.
Dojat : Est-ce que la place des lobbyistes proches du gouvernement sera remise en cause ? Peut-on penser que le pouvoir en place est influencé par ces derniers ?
Pierre Le Hir : Sur la première partie de la question, on peut en douter ; sur la seconde partie, oui à l’évidence. Emmanuel Macron entretient en effet une relation décomplexée avec les différents groupes d’influence. Cela vaut par exemple dans le domaine de l’énergie, pour lequel EDF bénéficie — comme cela a toujours été le cas par le passé — de l’oreille attentive du chef de l’Etat et de son premier ministre, Edouard Philippe, ancien d’Areva. Cela vaut aussi, comme on l’a vu, avec les chasseurs.
L’un des éléments qui ont fini par décider Nicolas Hulot à démissionner, même si ce n’est sans doute pas le plus fondamental, a été la présence, lors d’une réunion organisée lundi 27 août, à l’Elysée, sur la réforme de la chasse, du lobbyiste attitré de la Fédération nationale des chasseurs, Thierry Coste. Une présence très mal vécue par M. Hulot.
Tom : Ce gouvernement a-t-il réellement le meilleur bilan écologique de la Ve République, comme le prétend l’Elysée ?
Simon Roger : La phrase « meilleur bilan écologique de la Ve République » est sans doute flatteuse pour l’exécutif actuel, mais elle n’a pas sens. D’abord, parce qu’il est prématuré de tirer le « bilan écologique » d’un président qui entame seulement sa deuxième année d’exercice du pouvoir. Ensuite, parce que les enjeux écologiques ont traversé les différentes mandatures de la Ve République !
La conférence climat de décembre 2015 (COP21), par exemple, qu’on peut considérer comme un marqueur fort de l’action de la France contre le réchauffement climatique, est à porter au crédit de François Hollande…, alors qu’Emmanuel Macron n’a de cesse de répéter que Paris est leader de l’ambition climatique.
Dans le bilan de Nicolas Hulot, on retiendra sans doute le choix gouvernemental d’abandonner le projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes, un dossier vieux de plus de vingt ans.
MF : Nicolas Hulot a-t-il fait mention du projet de Bure ? Il en était un opposant avant son arrivée au gouvernement.
P. L. H. : Non, M. Hulot n’a pas évoqué le dossier du stockage de déchets radioactifs à Bure, dans la Meuse. Il avait en effet affiché, par le passé, son opposition à ce projet. Depuis qu’il est ministre, il a déclaré que l’enfouissement des déchets nucléaires les plus dangereux était « la moins mauvaise solution », même si elle n’est pas vraiment satisfaisante.
En tout état de cause, le gouvernement et le Parlement n’ont pas à se prononcer à court terme sur ce dossier, qui devra faire l’objet d’une demande d’autorisation de création avant le début des travaux.
Alice : Qui sont les successeurs potentiels de Nicolas Hulot ?
Rémi Barroux : Emmanuel Macron et Edouard Philippe devront trouver une personne qui leur permette d’affirmer leurs « ambitions » environnementales. Leurs premiers propos insistent sur leur volonté de maintenir le cap. Dans cette optique, ils pourraient se tourner vers des personnalités crédibles sur le plan de l’écologie, telle Chantal Jouanno, ancienne secrétaire d’Etat à l’écologie du gouvernement Fillon, que M. Macron vient de nommer à la tête de la Commission nationale du débat public.
Les deux actuels secrétaires d’Etat auprès du ministre démissionnaire de l’écologie, Brune Poirson et Sébastien Lecornu, sont plus récents sur ces dossiers, mais travaillent dessus depuis plus d’un an.
Oryza : Face au premier ministre, Edouard Philippe, ou au ministre de l’agriculture, Stéphane Travers, Nicolas Hulot avait-il le sens politique nécessaire ? Autrement dit, aurait-il pu mieux faire ?
R. B. : Nicolas Hulot fréquente le monde politique depuis longtemps, et a parlé à l’oreille de MM. Chirac, Sarkozy et Hollande. Il a aussi été le candidat malheureux d’une primaire écologiste lors de la présidentielle. Il avait donc un certain sens politique, sans pour autant avoir jamais endossé le costume ministériel. Mais, conseiller, avocat, militant… Nicolas Hulot a sans doute sous-estimé le poids réel des lobbys sur les décideurs politiques.
Daniel : M. Castaner dit que le « gouvernement peut être fier d’avoir un bilan écologique à la hauteur des enjeux », mais n’est ce pas pour cette raison que M. Hulot est parti ?
P. L. H. : La décision de M. Hulot traduit, plus qu’un désaccord particulier sur un point précis, son sentiment plus global que le gouvernement n’a pas pris conscience des enjeux qui, à ses yeux, conditionnent tout le reste, à savoir la crise climatique, la crise de la biodiversité, la crise sanitaire et environnementale…
Il a néanmoins évoqué, parmi les sujets de dissension, la question du nucléaire. Elle est brûlante puisque le gouvernement doit présenter, d’ici à la fin de l’année, une nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie. M. Hulot voulait qu’elle entérine une baisse du nucléaire, avec le calendrier, le nombre de réacteurs à fermer et leurs noms. Le chef de l’Etat et celui du gouvernement veulent au contraire repousser à plus tard les arbitrages sur la baisse du nucléaire. On peut imaginer que, sur ce dossier sensible, Nicolas Hulot a perdu et en a donc pris acte.
A venir, un certain… : Quel est le bilan de M. Hulot sur la mise en place des actions post-COP21 ?
S. R. : Dans ce domaine, on doit faire l’addition des actions engagées par le ministère de Nicolas Hulot, mais également des initiatives de l’exécutif, car Emmanuel Macron s’est assez vite emparé de ce sujet hautement diplomatique. M. Hulot est à l’origine d’un « plan climat », dévoilé en juillet 2017, qui se voulait ambitieux, en cherchant à mettre la France sur la voie de la neutralité carbone d’ici à 2050.
L’Elysée a joué sa partition avec son opération « Make our planet great again », dont l’objectif est notamment d’héberger et de financer les travaux de chercheurs étrangers, ou encore avec l’organisation d’un sommet sur les finances climat, le One Planet Summit, le 12 décembre 2017, pour les deux ans de l’accord de Paris conclu à la COP21.
Mais en dépit de ces efforts, la France ne parvient pas à respecter ses propres engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni à convaincre ses partenaires européens de rehausser leurs ambitions dans la lutte contre le réchauffement planétaire.
Brioche : M. Hulot a annoncé avoir peur que sans sa présence il y aura trois projets d’EPR de plus dans les prochaines années. Cette crainte est-elle justifiée, malgré le fiasco de celui de Flamanville ?
P. L. H. : Trois EPR peut-être pas. Mais il est vrai qu’EDF souhaite que la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie prévoie la mise en chantier d’un second EPR, en sus de celui de Flamanville. Cette perspective peut sembler étonnante à certains, si l’on regarde les retards et les surcoûts accumulés par ce réacteur de troisième génération. Mais il est vital pour EDF, s’il veut exporter des EPR, de montrer que la France s’équipe elle-même de ce type de réacteurs. Comment vendre à des pays étrangers une technologie à laquelle la France elle-même renoncerait ?
Au reste, EDF a toujours dit qu’il voulait construire dans l’Hexagone un nouveau parc nucléaire, une fois que les 58 réacteurs actuellement en activité seront arrivés en fin de vie. Et la France a prévu de réduire la part du nucléaire dans son mix électrique…, pas de sortir du nucléaire.
Hicolas Nulot : Macron perd une prise de guerre ; est-ce un tournant négatif qui s’annonce pour La République en marche, déjà empêtré dans plusieurs affaires ?
R. B. : A l’évidence, la démission de M. Hulot n’est pas une bonne nouvelle ni à la tête de l’Etat ni pour la majorité présidentielle. S’agissant de politique écologique, là encore, il faut attendre de voir qui sera nommé en remplacement du ministre démissionnaire, et quelles seront les prochaines étapes législatives, notamment.
Il faudra observer aussi quel sera le périmètre du prochain ministère. Sera-t-il toujours en charge de secteurs aussi lourds que l’énergie, les transports… ? Les députés LRM, tels MM. Orphelin, Lambert ou Mme Pompili, engagés sur les questions écologistes, vont-ils se trouver dans une situation plus inconfortable, l’avenir le dira rapidement.