L’ultra-trail, un sport extrême, mais qui peut être accessible à tous
L’ultra-trail, un sport extrême, mais qui peut être accessible à tous
Par Catherine Pacary
Le 16e Ultra-Trail du mont Blanc se court ce week-end. Théoriquement, tout un chacun est capable de courir ainsi 100 km ou plus.
En quinze ans, l’Ultra-Trail du mont Blanc (UTMB), qui se court du 27 août au 2 septembre, s’est imposé comme l’épreuve emblématique de la discipline. Et en a suivi l’évolution : confidentiel à sa création, en 2003, alors que la « course sur sentier » débarquait de ce côté de l’Atlantique, il connaît un succès exponentiel depuis, avec dix mille participants pour huit cent mille pratiquants estimés en France, séduits par la liberté, le rapport à la nature et la convivialité qu’il induit.
Cet engouement populaire peut surprendre lorsque l’on découvre les caractéristiques techniques de la course : 171,6 km courus en trois jours, 10 340 m de dénivelé positif… Des chiffres qui ont de quoi effrayer le sportif du dimanche.
A tort. Le trail et sa version ultra séduisent justement par leur côté « l’exploit humain à portée de tous et de toutes ». A condition de savoir exploiter au mieux ses ressources physiologiques, comme l’explique au Monde le docteur Jean-Charles Vauthier, traileur et médecin sur L’Infernale des Vosges, autre grand rendez-vous des amateurs, dont la 10e édition se tiendra du 7 au 9 septembre.
Un effort pas si intense, mais très long
L’ultra-trail ne demande pas forcément de puiser profondément dans ses réserves. Contrairement à des épreuves comme le sprint, ou comme les épreuves de demi-fond et de fond, voire les marathons.
« Notre corps utilise plusieurs carburants différents, en fonction de la nature de l’effort », détaille Jean-Charles Vauthier. Ils sont au nombre de trois, pour faire simple.
Lors d’un effort très bref et très intense, comme un 100-mètres, « l’athlète est en anaérobie [il court sans respirer]. C’est épuisant mais efficace, sur un temps maximal de trente secondes, pour les meilleurs. »
Ensuite, sur des distances comprises entre 300 m et un marathon (42,195 km), « on parle d’un effort d’intensité moyenne sur une durée moyenne. Le corps utilise alors comme combustible le glycogène [un glucide complexe] qu’il a en stock, soit deux mille calories, qui lui permet de tenir trois heures environ. »
Sur cette distance peut se manifester le fameux « second souffle », phénomène qui survient entre la 10e et la 30e minute d’effort. Il est dû à la sécrétion, en réaction à la douleur induite, d’une endorphine (morphine générée par l’organisme), qui envoie un message bienveillant à notre cerveau. Ainsi, douleur et stress s’atténuent-ils ; le coureur contrôle mieux sa respiration et ressent même un certain plaisir.
L’ultra-trail, quant à lui, « se classe parmi les efforts moins intenses, mais très longs, poursuit le docteur Vauthier. L’athlète puise alors dans son “gras”, une ressource quasi infinie de cent quarante mille calories que chacun possède, même les plus minces ! »
Lors de l’épreuve, « le corps lipolyse, c’est-à-dire brûle du gras, poursuit le médecin. Sur cette phase de basse intensité, on peut tenir longtemps. François D’Haene [meilleur ultra-traileur français] a par exemple la capacité de passer rapidement, au bout de quatre ou cinq heures, en mode lipolyse. »
D’où l’aisance souriante constatée chez cet athlète après cinq ou six heures de course. « C’est pour cela qu’il gagne ! »
Le MCC, Martigny-Combe-Chamonix, lance l’édition 2018 de l’UTMB par un 40 km festif, créé pour les bénévoles et les locaux. / UTMB/FACEBOOK
Pas de prédisposition respiratoire particulière
Au niveau ventilation, l’ultra-trail ne nécessite pas, non plus, de prédisposition respiratoire particulière. « On est sur des durées d’effort qui ramènent à la vie normale. Le coureur est environ à 60 % de ventilation et suit une respiration classique, ventrale diaphragmatique, souple et détendue. »
Théoriquement, tout un chacun est ainsi capable de courir un ultra-trail au bout de trois ou cinq ans d’entraînement — tout de même.
L’ultra-trail s’apparente donc à une activité quasi normale. Les dernières recherches d’un groupe de médecins vosgiens, parmi lesquels le docteur Vauthier, vont dans ce sens. Ils ont étudié l’incidence de la course à pied sur les reins et ont démontré que, si ces organes souffrent lors de « runs » ou de marathons, ils ont une activité « normale » lors d’ultra-trails.
Ce qui fait dire à Jean-Charles Vauthier que courir un ultra-trail, « c’est juste un boulot », un travail physique, comme ouvrier sur un chantier, paysan ou artisan maçon. « Ce n’est pas si délirant que ça ! Il faut juste trouver un rythme compatible avec la durée. »
Encore faut-il préciser le mot « course ». En ultra-trail, on ne « court » pas, on « trotte ». « Plus c’est long, plus on trotte, s’amuse le docteur Vauthier. Sur 269 km [son dernier trail], en réalité, on marche dans les descentes, on marche dans les montées et on trottine sur le faux plat. [Beaucoup courent en réalité en descente] On fait des pauses toutes les trois ou quatre heures. On mange. On s’arrête même pour dormir — on a le droit ! — des minisiestes de sept minutes dans l’idéal, de trente minutes au maximum. Il nous arrive aussi de sortir l’appareil photo, devant un panorama fabuleux. »
« Il nous arrive aussi de sortir l’appareil photo, devant un panorama fabuleux », explique Jean-Charles Vauthier, médecin spécialisé dans l’ultra-trail et coureur. / ULTRA-TRAIL
Pas plus de risque d’addiction que dans d’autres sports
L’ultra-trail ne donne pourtant pas l’image du sport « pépère », décrit par Jean-Charles Vauthier. Les scènes d’épuisement y sont légion. « Mais là encore l’ultra-trail est ambivalent, précise le docteur, c’est une douleur qui fait du bien, une sensation que l’on a envie de retrouver », grâce à la fameuse endorphine.
N’y a-t-il pas en ce cas risque d’addiction ? Le docteur Vauthier réfute cette rumeur persistante. « Surtout pas ! Seuls 4 % des traileurs sont addicts, ce qui est la même proportion que dans tous les autres sports. »
Reste l’inexplicable. Lors de l’UTMB 2017, le vainqueur, François D’Haene, a couvert les 167 km et 9 618 m de dénivelé à la vitesse moyenne de 8,8 km/h ; à la mi-juin, l’Américain Jim Walmsley bouclait les 166 km de la Western State en 14 h 30 min, soit à 11,4 km/h de moyenne.
« L’être humain est naturellement endurant, commente M. Vauthier. Mais pour atteindre cette vitesse, il faut une prédisposition génétique. D’Haene ou Walmsley sont des ovnis ! »