Que répondre aux « desperate candidates » de Parcoursup ?
Que répondre aux « desperate candidates » de Parcoursup ?
Comment ce nouveau système est-il parvenu, en si peu de temps, à faire regretter l’ancien APB ? Poussé à son extrême, le droit de choisir sa filière suppose la garantie d’une place n’importe où, pour permettre le libre choix d’une place quelque part.
La nouvelle plate-forme d’orientation vers les études supérieures, Parcoursup. / Philippe Turpin / Photononstop / Philippe Turpin / Photononstop
Par Jules Donzelot, sociologue, chercheur rattaché au Cadis, pilote scientifique de Démo Campus à l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV).
Point de vue. Source d’angoisse pour les uns et d’autosatisfaction pour les autres, ressource inespérée pour la presse en période estivale, la plate-forme Parcoursup a fourni le feuilleton de l’été ! Mis en scène quotidiennement, dramatisé à souhait, le show des « desperate candidates » n’en exprime pas moins une réalité qui appelle urgemment à être questionnée.
Comment ce nouveau système est-il parvenu en si peu de temps à faire regretter l’ancien ? Y va-t-il d’un défaut à la marge de Parcoursup, ou bien d’un problème structurel de gestion de l’accès aux études supérieures ? Peut-on envisager de « corriger le tir » en s’inspirant de ce qui se pratique à l’étranger en termes de démocratisation du supérieur ?
La promesse intenable de Parcoursup
Récapitulons les épisodes précédents. Il a été décidé de mettre fin au système Admission post-bac (APB), en raison principalement du recours au tirage au sort que celui-ci imposait, à la fin du processus, aux candidats en attente. Dorénavant, aucun élève ne se trouverait privé du droit de choisir sa filière. Comment ? La solution consiste à remplacer un algorithme chargé de l’attribution automatisée des places, par un autre, chargé d’une classification automatisée des candidatures. Une fois les candidatures classées, les élèves n’ont plus qu’à valider un choix final parmi les options qui leur sont proposées.
En théorie, un tel système semble parfaitement pertinent et cohérent. Il permet d’assurer la satisfaction des aspirations des candidats, tout en respectant les contraintes structurelles de l’enseignement supérieur. En théorie, oui, mais en pratique, non. Poussé à son extrême, le droit de choisir sa filière suppose la garantie d’une place n’importe où, pour permettre le libre choix d’une place quelque part. Le bon fonctionnement de Parcoursup suppose donc, dans l’absolu, le droit d’accès de tous les bacheliers à toutes les filières. Or, Parcoursup vise précisément à organiser la satisfaction des aspirations dans le cadre d’un nombre de places limitées.
Ce paradoxe se traduit par les conséquences observées cet été : les universitaires qui se plaignent des modifications opérées par Parcoursup dans leurs classements personnalisés ; les candidats acceptés dans plusieurs filières qui attendent le dernier moment avant de libérer les places que leur a temporairement réservés Parcoursup ; les candidats les moins bien classés qui attendent le dernier moment pour découvrir s’ils sont acceptés ou non dans quelque filière que ce soit ; ceux qui abandonnent tant l’attente est longue ; ceux qui, par dépit, s’inscrivent dans une formation privée, oublient de clore leur dossier sur Parcoursup et bloquent autant de places réservées. Toutes ces conséquences sont l’effet mécanique d’une promesse intenable : garantir le libre choix tout en restreignant l’accès.
L’enseignement supérieur n’a pas les moyens de satisfaire l’ambition rhétorique d’un « en même temps » généralisé dans le cadre des procédures d’accès : la liberté de choisir pour les candidats, et, en même temps, la liberté de classement par les universités, et, en même temps, la gestion territoriale des flux par l’algorithme de Parcoursup. Pour que la formule du « libre choix » puisse être pertinente, il faudrait que les aspirations des candidats coïncident quantitativement avec la disponibilité des places et qualitativement avec les classements. Soit un objectif impossible à atteindre en tant que tel.
Serait-il possible, toutefois, de se rapprocher de cet objectif d’une meilleure adéquation de l’offre et de la demande ? Tout en poursuivant une meilleure justice sociale ? Tel est en tout cas l’objectif explicite que se sont fixés plusieurs pays dans leurs efforts en faveur d’une massification réussie de l’enseignement supérieur.
Le besoin d’élever et de diversifier les aspirations
Parcoursup pose la question de la capacité du système à satisfaire ou non les aspirations des candidats. Mais qu’en est-il de la capacité du système à aider les élèves au moment où se forment leurs aspirations, soit bien avant l’entrée dans le supérieur ? N’y va-t-il pas, en la matière, d’une responsabilité des établissements d’enseignement supérieur, seuls à même d’informer correctement les futurs candidats sur les déroulés et les débouchés des différentes filières ?
Plusieurs pays se sont lancés dans la lutte contre les inégalités d’aspiration des élèves du secondaire. Certains expérimentent, depuis déjà plusieurs décennies, des actions visant à élever et diversifier les aspirations et à soutenir la participation aux études postsecondaires. La plupart convergent vers la mise en place d’un continuum d’interventions de l’école primaire jusqu’à l’accès aux études supérieures, afin de sécuriser par le bas la construction d’aspirations ambitieuses, mais aussi réalistes du point de vue des capacités d’accueil des filières ainsi qu’à l’égard des besoins de l’économie en termes de compétences.
En Grande-Bretagne, on ne parle pas d’« égalité des chances d’accès » mais d’« étendre et de diversifier la participation » (widening participation to higher education) en « élevant les aspirations » (raising aspirations). Cet objectif s’inscrit dans un système dont l’organisation repose sur la demande d’études supérieures (demand-led system), qui relève d’une philosophie d’action mêlant utilitarisme et justice sociale.
Pour que la demande soit à la fois plus massive et plus diversifiée à tous niveaux (social, ethnique, de genre, etc.), les universités britanniques interviennent dès le collège – parfois dès l’école primaire – et accompagnent des dizaines de milliers d’élèves dans l’élaboration de leur projet personnel et, pour cela, dans leur choix de matières, à 13 ans et 15 ans. Enfin, elles les aident dans leurs démarches d’accès à l’université. Et ciblent en priorité ceux dont les parents n’ont pas fait d’études supérieures.
Les politiques publiques d’élévation et de diversification des aspirations se retrouvent dans les programmes de nombreux pays : Aimhigher au Royaume-Uni (rebaptisé en 2014 NNCO, National Networks for Collaborative Outreach), Prometheus à Barcelone, Pathways to Education au Canada, HEPPP en Australie (Higher Education Participation Partnership Program), Upward Bound aux Etats-Unis… Elles diffèrent toutes de l’approche qui domine en France, avec les « cordées de la réussite et les parcours d’excellence », qui sont exclusivement centrées sur la promotion des élèves ayant les meilleurs résultats scolaires.
Le défi du prochain épisode de Parcoursup : la justice sociale
Côté français, les initiatives les plus proches de ce modèle « aspirationnel » commencent à apparaître dans les pratiques d’un certain nombre d’associations. On peut citer le programme « Démo Campus » de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), ainsi que les actions d’Article 1 (fusion des associations Fratelli et Passeport Avenir), ou encore les ateliers de la Zone d’expression prioritaire.
Les démarches de ces associations posent principalement la question de la responsabilité sociale des établissements d’enseignement supérieur. Comment penser leur rôle en matière de développement local ? Que peuvent apporter ceux-ci aux territoires défavorisés ? En prenant appui sur quels partenaires dans ces territoires ? En attribuant quel rôle aux volontaires qui constituent la base d’action de ces associations ? Avec quels bénéfices possibles sur le déroulement de la prochaine saison de Parcoursup ?