Laura Flessel quitte un ministère des sports plus faible qu’à son arrivée
Laura Flessel quitte un ministère des sports plus faible qu’à son arrivée
Par Clément Guillou, Adrien Pécout
Volontaire et populaire, l’ancienne escrimeuse n’a pas su imprimer sa marque au sein du gouvernement, dont elle a démissionné mardi. Elle sera remplacée par l’ancienne nageuse Roxana Maracineanu.
Laura Flessel, en septembre 2017. / CRIS BOURONCLE / AFP
Laura Flessel peut au moins se dire qu’elle aura porté chance : en moins de cinq cents jours au ministère des sports, l’ancienne escrimeuse aura vu la France remporter l’organisation des Jeux olympiques 2024 et de la Coupe du monde de rugby 2023, et son équipe de football gagner la Coupe du monde. Mais le bilan de l’éphémère ministre des sports est surtout celui des autres. Sa propre action est restée limitée, le poids du ministère s’est réduit et elle, sur les quelques sujets majeurs où elle s’est engagée, était contestée par le monde sportif.
Une ministre populaire
En annonçant sa démission, mardi 4 septembre, pour « raisons personnelles », après en avoir informé le premier ministre, Edouard Philippe, la veille au soir, la double championne olympique a voulu choisir sa sortie, un jour de remaniement. Elle sera remplacée par une autre ancienne championne, la nageuse Roxana Maracineanu.
En une semaine, après le départ tonitruant de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique et solidaire, le gouvernement d’Edouard Philippe a perdu ses deux ministres les plus identifiés par les Français, et ceux dont l’action était jugée la plus positivement dans les enquêtes d’opinion.
Dans le dernier baromètre de popularité de l’IFOP, réalisé au début de juillet, le ministre de l’écologie bénéficiait de 64 % d’opinions favorables, et la ministre des sports, de 51 %.
Budget en baisse
Dans le monde du sport, dont elle est pourtant issue, le bilan de Laura Flessel n’est pas jugé avec la même bienveillance. Elle venait d’avaler une nouvelle couleuvre avec la lettre de cadrage pour le budget 2019, révélée mardi matin par L’Equipe : selon ces prévisions budgétaires, que le ministère ne confirme pas, l’enveloppe des sports sera en baisse de 6,2 % par rapport à 2018, passant ainsi de 480,7 millions à 450,6 millions d’euros.
Le budget 2018 avait été annoncé en baisse de 7 % par rapport à l’année précédente mais n’avait finalement que très peu diminué, grâce à une rallonge votée au Parlement.
L’Etat entend par ailleurs continuer de plafonner le montant de la taxe Buffet (sur les droits de retransmission télévisée, les opérateurs de paris sportifs et la Française des jeux) reversé au Centre national pour le développement du sport (CNDS).
Il en a ponctionné la moitié en 2018, suscitant une colère noire du président du Comité olympique français, Denis Masseglia, qui évoquait la semaine dernière un « hold-up » inédit et a annoncé mardi le lancement d’une pétition nationale du monde du sport pour récupérer cet argent.
Retour dans le monde associatif
La nouvelle baisse annoncée du budget pour 2019 n’a rien à voir avec la démission de Mme Flessel, assure-t-on dans son entourage. L’ancienne sportive, âgée de 46 ans, souhaiterait retourner à des activités associatives. « C’est pour retrouver des engagements passés, justement tournés vers l’humain, la solidarité et la coopération internationale, que je prends aujourd’hui la décision de poursuivre mon action par d’autres voies », précise-t-elle dans son communiqué. Le texte ne laisse paraître aucune acrimonie vis-à-vis d’Emmanuel Macron ni d’Edouard Philippe, qui n’ont pas facilité sa tâche de ministre.
« Je n’aime pas perdre !, disait-elle au Monde en mai 2017, quelques semaines après sa nomination. Je pressens qu’il y aura des coups bas. Mais je vais discrètement enfiler ma veste blanche et mon masque. Et m’armer d’une épée… invisible. » L’épée invisible aura souvent été bien inutile face aux impératifs budgétaires et aux objectifs politiques de l’Elysée.
« Elle n’a aucun problème ni avec le président de la République ni avec le premier ministre. Elle est très heureuse de son année », assure-t-on au ministère, tout en expliquant que la décision de quitter le gouvernement « est venue d’elle ». « Elle veut reprendre sa liberté : c’est une femme de la société civile, pas une femme politique. »
Cela s’est vu lors de ses nombreuses apparitions publiques, où, le nez dans ses fiches, elle peinait à énoncer clairement ses discours. Dans ses sorties médiatiques, où elle multipliait les phrases alambiquées et donnait à voir un manque de maîtrise des dossiers. Dans ses négociations avec Bercy, l’Elysée ou Matignon, face à qui elle était insuffisamment armée et mal entourée.
En novembre 2017, une déclaration avait aussi étonné, sinon choqué : la ministre des sports, jusque-là restée discrète sur le sujet, soutenait que la question des violences sexuelles n’avait pas atteint le monde du sport et s’était arrêtée aux autres domaines de la société. « Non, il n’y a pas d’omerta dans le sport », assurait-elle à L’Express.
Froome sifflé sur le Tour de France : "J'appelle à respecter tous les cyclistes" dit Laura Flessel, la ministre des… https://t.co/ZBn5yrUzap
— franceinfo (@franceinfo)
« Elle s’est impliquée totalement dans sa mission, à 200 %, salue, pour sa part, l’ancienne présidente du Centre national pour le développement du sport (CNDS) Béatrice Barbusse (2015-2017). Elle s’est déplacée à plusieurs reprises pour dire son engagement dans la lutte contre l’homophobie, le sexisme, le racisme. A son débit, je retiens la baisse très conséquente du budget du ministère des sports et du CNDS. »
Perte d’influence du ministère
En seize mois, Laura Flessel a eu le temps de faire voter la loi olympique devant le Parlement, consistant à inscrire dans le droit les promesses faites au Comité international olympique de mener une campagne de communication contre les discriminations, et d’engager une poignée de chantiers : celui des « maisons sport-santé », à un stade embryonnaire, mais surtout celui de la réforme de la gouvernance du sport français.
Objet d’un bras de fer au premier semestre entre Laura Flessel et Denis Masseglia, l’Agence nationale du sport sera créée au début de 2019. Elle sera constituée d’un pôle affecté à la haute performance et d’un autre concentré sur le développement du sport pour tous. Selon un rapport remis en juillet à la ministre, l’enveloppe nécessaire oscillerait entre 300 millions et 400 millions d’euros.
Désormais officiellement réconcilié avec la ministre, le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a fait applaudir cette dernière, mardi en ouverture d’une conférence de presse : « Si on en est aujourd’hui à une évolution du modèle sportif français comme on n’en a jamais vu depuis soixante ans, c’est aussi à son action qu’on le doit. »
La composition de la future Agence nationale du sport, qui donne autant de poids au ministère qu’au CNOSF et aux collectivités territoriales – sans oublier les acteurs économiques, également impliqués –, laisse augurer d’une possible disparition du ministère à l’avenir et d’un recentrage de l’Etat sur le sport de haut niveau, comme le préconise le rapport Comité action publique 2022 commandé par le gouvernement et rendu public en juillet par le syndicat Solidaires.
Un scénario que Laura Flessel n’a pas semblé combattre, se voyant dépossédée de la préparation concrète des Jeux olympiques 2024 par un délégué interministériel (l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée Jean Castex) et se laissant aller à cette confidence à l’Assemblée nationale, le 19 juillet : « Je l’assume, ce n’est pas le rôle de l’Etat de financer durablement les clubs. »