« Le Sénégal pourrait entrer dans le top 10 des producteurs de gaz »
« Le Sénégal pourrait entrer dans le top 10 des producteurs de gaz »
Propos recueillis par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
Pour le géologue Fary Ndao, les réserves d’hydrocarbures offshore sont une immense opportunité pour le pays mais ne vont pas révolutionner la structure de son économie.
Un navire pétrolier dans le port de Dakar, en mars 2018. / SEYLLOU / AFP
Le Sénégal s’apprête à entrer dans le cercle des pays producteurs d’hydrocarbures. Depuis la première découverte de pétrole offshore, en octobre 2014, jusqu’aux gisements de gaz révélés en mai 2017, le Sénégal attire les grandes compagnies pétrolières. L’exploitation de ces ressources débutera en 2021. Que pourrait apporter cette manne inespérée au pays, classé 162e selon l’indice de développement humain ?
Pour répondre à cette question, l’ingénieur sénégalais Fary Ndao publie L’Or noir du Sénégal, comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au Sénégal. Géologue de 31 ans, diplômé de l’université Claude-Bernard, à Lyon, et de l’Institut des sciences de la terre de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, il a travaillé pour Petrosen, la compagnie pétrolière nationale. Militant engagé, il est aussi coauteur de l’ouvrage Politisez-vous !.
Le Sénégal peut-il devenir une puissance pétrolière ?
Fary Ndao Le Sénégal deviendra un pays producteur de pétrole, mais pas une puissance pétrolière en l’état actuel des découvertes. Il est probable que ces gisements sont les plus importants qu’on découvrira jamais au Sénégal. Celui de SNE est évalué à 563 millions de barils. Le champ de Ghawar, en Arabie saoudite, le plus grand du monde, atteint plusieurs dizaines de milliards de barils. C’est incomparable.
Concernant le gaz, si on n’en a pas autant que la Russie ou le Qatar, les réserves découvertes pourraient faire entrer le Sénégal dans le top 10 des producteurs. On ne deviendra pas un émirat, mais, dans un pays de 16 millions d’habitants, très jeune, avec des défis d’éducation et de santé, ces découvertes sont une immense opportunité.
De nombreuses critiques s’élèvent contre la mainmise d’entreprises étrangères sur l’exploration et l’exploitation…
L’Etat a besoin des compagnies étrangères pour assumer le risque d’exploration. Huit forages sur dix sont un échec. Or un forage peut coûter plusieurs dizaines de milliards de francs CFA [soit plusieurs dizaines de millions d’euros]. Un pays pauvre comme le Sénégal ne peut pas s’aventurer dans l’exploration pétrolière. On a d’autres secteurs à financer en priorité.
On peut imaginer qu’avec le temps, le Sénégal, à travers sa compagnie pétrolière nationale, va gagner en capacité financière et investir dans l’exploration. Mais ce n’est pas pour demain. En Arabie saoudite, pendant près de quarante ans, l’exploitation pétrolière était déléguée à des compagnies étrangères. Désormais, Saudi Aramco, la société nationale saoudienne, explore elle-même son sous-sol, tout comme PDVSA au Venezuela.
Comment se répartissent les différentes concessions ?
Il y a eu des découvertes dans trois blocs depuis 2014. D’abord dans le bloc Sangomar, avec le gisement FAN, puis, un mois après, SNE, qui est la plus grosse découverte à ce jour. Ensuite dans le bloc Saint-Louis offshore profond, avec le gisement Tortue, en avril 2015, partagé avec la Mauritanie. Enfin dans le bloc Cayar offshore profond, avec les gisements de Teranga et Yakaar. Les principaux opérateurs sont BP, Kosmos, Cairn, Oranto, African Petroleum et Petrosen. Total est arrivé il y a un an et a pris possession du bloc Rufisque offshore profond, mais aucune découverte n’y a été faite à ce jour.
Ces découvertes sont-elles comparables aux gisements trouvés dans des pays comme le Nigeria ou le Ghana ?
Le Sénégal produira à peu près les mêmes volumes que le Ghana, soit environ 100 000 barils par jour.
Il existe un défi environnemental. Vous dites que ces découvertes peuvent mener à une transition écologique. Comment ?
Nous ne devons pas seulement remplacer le fioul et le charbon par le gaz et les énergies renouvelables, mais aussi changer la manière dont se font les transports. Dakar est congestionnée de voitures. Il faudrait commencer à développer des lignes de tramway, avoir des bus semi-électriques… On arrivera ainsi à un environnement plus sain. L’argent du pétrole peut servir à financer la transition énergétique.
On estime les gains financiers de l’Etat jusqu’à 30 milliards d’euros [environ 26 milliards d’euros] sur trente ans pour SNE et Tortue. Les hydrocarbures deviendront-ils les premiers leviers de l’émergence sénégalaise ?
Le budget du Sénégal, c’est environ 6 milliards de dollars par an. Cet apport d’un milliard de dollars par an correspondrait à un peu moins de 20 % du budget. Rien que la douane ou la direction des impôts apportent plus. Donc ça ne va pas révolutionner la structure de l’économie sénégalaise. Sauf que le pétrole et le gaz sont les ressources qui font le socle de toute économie moderne. Le gaz permet de produire environ 25 % de l’électricité dans le monde. Il rejette moins de CO2 et de particules fines que le charbon et le fioul que nous importons. Cela pourra réduire le prix de l’électricité, ce qui aura un effet positif sur la productivité de l’économie sénégalaise.
Vous parlez d’un risque économique en évoquant la « maladie hollandaise ». De quoi s’agit-il ?
C’est l’installation d’un pays dans une économie de rente, notamment quand il s’adosse à une ressource naturelle en délaissant d’autres secteurs. L’industrie au Sénégal est faible, le risque que l’on court est une déstructuration du secteur primaire, en particulier de l’agriculture. Des pays comme l’Angola ou le Gabon sont dans une situation où presque tout est importé, jusqu’à la nourriture. Il faut donc investir dans d’autres secteurs que le pétrole afin que le pays soit résilient. La durée de vie de nos gisements est estimée à trente ans. Il faudra ensuite embrayer sur un autre type d’économie.
Autre défi évoqué dans votre livre, celui de la corruption…
Il est impératif de soumettre les entreprises qui interviennent dans le pétrole à la menace de sanctions plus lourdes, afin de créer un effet de dissuasion. Aujourd’hui, il existe un arsenal pénal pour lutter contre la corruption. Mais ce qui manque, c’est une spécification à un contexte de production pétrolière, notamment en ce qui concerne l’octroi de certains contrats de service. Le monde pétrolier est très corruptogène.
Les conflits liés à la parenté sont un problème fort en Afrique, à l’exemple de l’Angola, où la fille de l’ancien président [Isabel Dos Santos] était responsable de la compagnie pétrolière nationale. Même problème en Guinée équatoriale avec la famille Obiang. Au Sénégal, la nomination du frère du président à la tête d’une société à qui l’Etat a octroyé un bloc pétrolier avait suscité un tollé [entré en fonctions en 2012, Aliou Sall a finalement quitté la direction de Petro-Tim Sénégal en 2016].
L’Or noir du Sénégal, comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au Sénégal, de Fary Ndao, 276 pages, 18 euros.