La Ligue des nations et ces compétitions dont on n’a pas vraiment compris le mode d’emploi
La Ligue des nations et ces compétitions dont on n’a pas vraiment compris le mode d’emploi
Par Alexandre Pedro, Clément Martel, Anthony Hernandez
La France découvre jeudi la Ligue des nations de football et son format complexe. Du tennis au rugby en passant par le basket ou le volley, le sport aime bien parfois faire compliqué.
Cinquante-cinq équipes européennes réparties dans quatre ligues (A, B, C, D), quatre poules de trois dans ces différentes ligues, un système de montée et descente, quatre billets offerts pour l’Euro 2000 via des barrages, à moins d’avoir déjà validé un ticket grâce aux éliminatoires classiques… Voilà les présentations — rapides — avec la Ligue des nations de football, nouvelle création de l’UEFA, qui débute jeudi 6 septembre pour l’équipe de France avec un déplacement en Allemagne.
Vous n’avez pas tout compris ? Ne remettez pas en cause vos capacités cognitives. Le sport a parfois le don d’imaginer des compétitions dont la compréhension reste une énigme, même après lecture du mode d’emploi. Voici quelques exemples. Passés, ou actuels.
Qui avait vraiment compris la Coupe Intertoto de football ?
Si l’on commence en se replongeant un peu dans les années passées, tout en restant dans l’univers du football, il y a par exemple la Coupe Intertoto. Certes, elle a offert au football français des moments aussi inoubliables que Robert Louis-Dreyfus (propriétaire de l’OM et d’Adidas) dansant en claquettes au milieu de ses joueurs après une victoire contre La Corogne en 2005, ou un 4-4 de légende de Troyes sur la pelouse de Newcastle, en 2001. Mais il faut l’avouer, personne ne comprenait vraiment comment fonctionnait cette épreuve.
Marseille vs La Corogne 2005
Durée : 05:52
En 1995, l’UEFA avait décidé de créer des repêchages pour les clubs restés à la porte de la Coupe de l’UEFA. Il s’agissait de meubler les étés des amateurs de football les plus incurables entre une Coupe du monde ou un Euro et la reprise des championnats.
« Après des premières joutes insipides entre des clubs lettons, moldaves et maltais, les sixièmes, septièmes et huitièmes des championnats plus huppés venaient s’inviter à la fête », résumait bien France Football dans un article publié en 2016, exaltant la nostalgie de cette Coupe d’Europe pour juillettistes et aoûtiens. La compétition était parfois snobée par les Italiens, Espagnols et Anglais et elle donnait trois vainqueurs, ce qui est un concept !
Mais rendons à l’Intertoto d’avoir permis une des plus belles épopées du football français, celle de Bordeaux en 1995-1996. Partis des tréfonds de l’Intertoto et d’une victoire contre les Suédois de Norrköping, les partenaires du duo Zidane-Dugarry s’étaient retrouvés en finale de la Coupe UEFA dix mois et demi plus tard, en mars 1996, avec une victoire de légende face au Milan AC.
En 2007, l’UEFA a décidé de supprimer l’Intertoto pour la remplacer par des tours de qualification. Le charme était rompu.
L’usine à gaz du championnat de rugby de 1987-1988
Si l’on reste dans les histoires passées, le rugby a aussi offert son lot de compétitions alambiquées. A une époque que les moins de 20 ans n’ont pas connue, les formules du championnat de France ont pu varier selon les humeurs (et les intérêts) des dirigeants de la fédération et de leurs équipes fétiches. Les joueurs de l’époque racontent qu’ils commençaient la saison sans toujours connaître le nouveau format pondu pendant l’été.
Dans le genre compliqué, la palme revient à l’exercice 1987-1988 et son championnat à 80 clubs. Dans un premier temps, tout ce petit monde avait été réparti dans 16 groupes de 5. Les deux premiers de chaque groupe formaient le groupe A et disputaient une phase de qualification en étant répartis en quatre poules de huit. Les autres formaient de la même façon le groupe B.
Les quatre premiers de chaque poule du groupe A (soit 16 clubs) se qualifiaient pour disputer les huitièmes de finale et pouvaient rêver du Bouclier de Brennus, symbole du champion de France. Les autres pouvaient viser un autre Bouclier, celui du Groupe B. Un titre qui fait depuis la fierté de Rumilly. Le vrai titre de champion de France était revenu à Agen.
Avec la création de la Ligue professionnelle de rugby (LNR) en 1998 et après quelques tâtonnements, le rugby français s’est doté d’un championnat presque lisible avec le Top 14. Si on ne tient pas compte des histoires de « doublon » avec le Tournoi des nations.
L’illisibilité de la Coupe du Grand Chelem au début des années 1990
Le tennis a, lui aussi, su concocter des épreuves peu lisibles. Bien avant la future nouvelle « Coupe Davis–Gérard-Piqué », la fédération internationale de tennis (ITF) a ainsi tenté d’innover en créant ex nihilo son tournoi au début des années 1990. La Coupe du Grand Chelem devait être une concurrente des Masters (organisés par l’ATP). Finalement, elle n’a pas vraiment marqué l’histoire du tennis.
Avec la pluie de dollars déversée — une défaite au premier tour assurait 100 000 dollars, la victoire finale, 1,5 million — elle a pu motiver les joueurs. Mais elle a n’a pas trouvé son public.
Pour résumer, l’idée était d’organiser à Munich un Masters… des tournois du Grand Chelem. Ainsi, les seize joueurs ayant réalisé les meilleures performances à Melbourne, Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open étaient qualifiés pour le tournoi selon le barème ci-dessous.
Peu lisible et mal placée dans la saison (d’abord en décembre puis en septembre dans la foulée de l’US Open), la Coupe du Grand Chelem a expiré son dernier souffle dans la plus totale indifférence en 1999 avec une dernière finale remportée par Greg Rusedski contre Tommy Haas.
Un système de qualification au mondial de basket dénué de sens
Aujourd’hui, c’est aussi le basket qui fait dans le compliqué. A l’occasion des qualifications du prochain Mondial (qui se déroulera en Chine en septembre 2019), la fédération internationale a sorti de son panier une réforme du système de qualifications pour le moins sinueux.
En s’inspirant du modèle éprouvé au football, la FIBA a choisi d’organiser les qualifications lors de « fenêtres internationales » en novembre 2018, février et juin 2019. Mais la fédération internationale ne s’est pas coordonnée avec les deux plus grandes compétitions de clubs du monde, la NBA, aux Etats-Unis, et l’Euroleague, en Europe. Or, ces ligues privées n’entendent pas — business is business — interrompre à deux reprises leur saison pour laisser filer leurs internationaux disputer des rencontres en Moldavie (ou ailleurs).
Comme personne n’est parvenu à se mettre d’accord, on se retrouve avec des qualifications pour le Mondial (lui-même qualificatif pour les Jeux olympiques) dénuées de sens — et de justice sportive. En Europe, notamment, dont les meilleurs joueurs évoluent soit en NBA soit en Euroleague, les petites nations (à commencer par la Slovénie, championne d’Europe en titre) paient au prix fort leur vivier moins important.
La Ligue des nations de volley, faux championnat du monde
On peut avoir gagné deux fois la Ligue mondiale et ne pas être en réalité… champion du monde. Victorieuse en 2015 et en 2017 de cette épreuve instaurée en 1990, et rebaptisée Ligue des nations depuis 2018, l’équipe de France est bien placée pour le savoir.
Dans cette compétition, les seize équipes en lice se rencontrent d’abord une fois chacune, réparties par poules de quatre sur cinq week-ends. Puis, un classement général est établi, qui qualifie les six meilleures sélections pour le Final 6.
Cette année, ce Final 6 s’est déroulé à Lille du 4 au 8 juillet, et les Bleus ont terminé à la deuxième place, derrière la Russie. Deux mois plus tard, ils abordent désormais les Mondiaux — les « vrais » — qui commencent le 9 septembre et s’achèveront le 30 septembre.
Sans compter que la Fédération internationale multiplie souvent les tours de qualifications à ces grands tournois. En 2017, le sélectionneur français Laurent Tilie pointait du doigt cette cadence : « A force de mettre des tournois de qualification qui qualifient pour d’autres tournois de qualification, en caricaturant à peine, on met en danger la santé des joueurs. »
Le Français Kevin Tillie à l’attaque, le 17 juillet 2017 contre les Etats-Unis / SERGIO MORAES / REUTERS