Conseillers techniques sportifs : « Moins d’encadrement c’est moins de licenciés et des arrêts d’activités »
Conseillers techniques sportifs : « Moins d’encadrement c’est moins de licenciés et des arrêts d’activités »
Par Anthony Hernandez, Adrien Pécout
Le gouvernement assure qu’aucun des 1 600 conseillers techniques sportifs « ne perdra son emploi », mais pose la question de « leur statut ».
Aucun des 1 600 conseillers techniques sportifs (CTS) « ne perdra son emploi ». C’est ce que la nouvelle ministre des sports, Roxana Maracineanu, a affirmé, lundi 10 septembre, après un entretien avec le premier ministre, Edouard Philippe. « Pas question de supprimer » ces conseillers, a également assuré Matignon, tout en précisant que « le rôle des CTS au sein des fédérations » doit être « retravaillé avec le mouvement sportif » et que « leur statut doit être réinterrogé ».
Le gouvernement cherche à calmer le jeu après la publication de la lettre de cadrage préparatoire au budget 2019 adressée au ministère des sports et qui demande à ce dernier d’« appliquer un schéma d’emplois de moins 1 600 ETP (équivalent temps plein) au cours de la période 2018-2022 ».
Cette perspective a provoqué ces derniers jours – la lettre de cadrage, qui date de fin juillet, a été dévoilée vendredi 7 septembre – de vives réactions dans le milieu sportif national. « La suppression de ces postes va s’exercer au détriment du sport pour tous. Toutes les “fédés” ne seront pas dans la même situation. Les plus riches pourront absorber financièrement la suppression de postes. Les plus petites, celles qui ont moins de 80 000 licenciés, vont souffrir », avance Béatrice Barbusse, secrétaire générale de la Fédération française de handball.
Qu’en disent les principaux intéressés ? Qu’ils soient à la direction technique nationale (DTN), entraîneur ou conseiller en région, à quoi servent ces cadres techniques dont l’Etat prend en charge la rémunération (environ 110 millions d’euros par an) en plus des subventions qu’il accorde aux fédérations (environ 80 millions) ? De quoi est fait leur quotidien ? Quel impact une réduction de postes aurait-elle sur leur travail et sur leur fédération ? Trois d’entre eux donnent leur avis.
« Si on veut réussir, il faut quand même un peu y mettre les moyens »
Stéphane Traineau, directeur des équipes de France de judo
« Mon quotidien ? En huit mois, j’ai pris seulement une semaine de congés, mais je ne m’en plains pas. On est sur le pont le week-end lors des compétitions et des stages de formation de professeurs, par exemple.
Mon travail est de manager l’ensemble des équipes de France depuis les cadets jusqu’aux seniors. Je gère aussi une centaine d’athlètes à l’Insep [Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, à Paris], et environ 240 répartis au sein des pôles France. Un travail assez particulier, très prenant.
Dire que l’on va juste éliminer 1 600 postes, tout cela pose la question du modèle sportif français. Le sport de haut niveau, c’est une chose. Mais le sport, c’est aussi du lien social. Quand on regarde le budget du ministère des sports, à peine 0,13 % du budget de l’Etat, on se dit que l’on doit revoir les choses en grand.
Cela fait huit mois que le sport français réfléchit, avec le ministère, aux questions de gouvernance. Je m’y suis investi et je n’ai jamais entendu parler de ces suppressions de postes…
Il faut savoir que si vous supprimez des entraîneurs dans les régions, vous agissez sur la base. On ne crée pas une génération spontanée de champions. Il faut les prendre dans les pôles France, en région, qu’ils soient encadrés.
Il y a une espèce d’incohérence devant cette annonce brutale. Ce n’est pas le tout d’organiser des grands événements, le Mondial de rugby en 2023, celui de football féminin en 2019, les Jeux olympiques en 2024. Si on veut y réussir, il faut quand même un peu y mettre les moyens. »
« Les champions du monde de football et nos joueurs de NBA sont tous passés entre les mains de cadres d’Etat qui les ont formés »
Alain Contensoux, directeur technique national du basket français
« Mon rôle est de coordonner au quotidien les missions des CTS régionaux et nationaux et de renouveler l’élite pour les équipes nationales. Au niveau régional, ils vont au contact des clubs pour détecter et former des joueurs, et former des entraîneurs pour les clubs. Ils travaillent également au niveau des pôles espoirs, à la formation des meilleurs joueurs régionaux préalablement détectés. A 15 ans, certains de ces jeunes rentrent dans les pôles France, de l’Insep, et là, les conseillers techniques nationaux – qui sont des entraîneurs – les forment.
Les CTS forment le socle de la réussite du sport français depuis les années 1960. Un cadre d’Etat travaille pour l’intérêt général, ce que peu de structures privées peuvent apporter.
Les directions techniques nationales travaillent dans l’immédiateté. On a besoin de résultats, et on travaille à faciliter la performance de nos équipes nationales, mais on travaille aussi pour préparer – à dix ans – les résultats d’une fédération sportive.
Quand vous formez un joueur pour les Jeux olympiques de Paris 2024, vous ne commencez pas en 2023. Il est passé par un club avec des bénévoles, un comité départemental, une ligue régionale… Et il a été accompagné pendant tout son parcours de formation par des entraîneurs qui soit sont des cadres d’Etat, soit ont été formés par eux.
Les cadres sont liés de près aux résultats remarquables des équipes nationales. Les champions du monde de football sont tous passés entre les mains de cadres d’Etat qui les ont formés, pareil pour nos joueurs NBA.
Fonctionner sans les CTS ? C’est inimaginable ! Ils sont extrêmement bien formés et on ne les remplace pas comme ça. On ne peut pas dire “on remplace un cadre d’Etat par un cadre fédéral”, car il faudrait prendre en compte de nombreux autres éléments. Avec cette annonce, on remet en cause un modèle, et un dispositif, qui a fait ses preuves. »
« Si je ne forme plus d’entraîneurs, pour pas mal de petits clubs cela pourrait être compliqué »
Sophie Vessillier, conseillère technique régionale en Auvergne-Rhône-Alpes pour la Fédération française de tir à l’arc
« Mon travail consiste durant toutes les vacances scolaires, par exemple, à organiser des stages avec des jeunes de niveau régional qui espèrent accéder un jour à du haut niveau. Il y a aussi des stages toute l’année, en semaine ou le week-end, pour accompagner d’autres jeunes ou bien des entraîneurs.
J’ai aussi pas mal de réunions en soirée pour aider nos dirigeants bénévoles à structurer leurs actions dans les clubs, à faire des demandes de subventions, à monter des projets.
Par ailleurs, j’ai une mission de coordination pour nos vacataires qui partent en mission dans les clubs.
Même si je ne suis pas sur le terrain tout le temps, mes actions ont un impact. Si je ne forme plus d’entraîneurs, pour pas mal de petits clubs cela pourrait être compliqué : moins d’encadrement, donc moins de licenciés, donc, à un moment, des arrêts d’activité…
Cela fait un moment que je ne compte plus les heures ! Au début, je le faisais, et je devais être à environ 2 000 heures par an [la durée légale annuelle étant fixée à 1 607 heures].
Ce qui m’inquiète, c’est qu’on va nous proposer d’être récupérés par les fédérations, ou par les régions, ou par je ne sais pas qui. Donc nous allons perdre notre statut de fonctionnaires et notre casquette “ministère des sports”, avec une vision globale du sport et des échanges avec d’autres disciplines.
Puis, surtout, est-ce que les fédérations auront les moyens de garder tout le monde à leur compte ? Est-ce qu’elles auront la capacité de déployer autant de moyens pour que ça fonctionne ? »