En médecine, une prépa publique veut rompre avec le déterminisme social
En médecine, une prépa publique veut rompre avec le déterminisme social
Par Pascal Galinier
Aux côtés des prépas privées à la première année commune aux études de santé, une prépa publique a ouvert en 2016 pour accompagner les lycéens franciliens.
L’une des facultés de médecine franciliennes, celle de Paris 5-Descartes. / Nathan Alliard / Photononstop / Nathan Alliard / Photononstop
Le concours de médecine est-il en train de vivre ses derniers jours ? La réforme des études de santé qu’Emmanuel Macron prévoit d’annoncer le 18 septembre changera peut-être la donne. Depuis la création du numerus clausus en 1971, cette filière, bien qu’universitaire, est l’une des plus sélectives de France. Et le très disputé concours qui sanctionne la première année commune aux études de santé (Paces) – porte d’entrée des professions thérapeutiques (médecin, pharmacien, dentiste, sage-femme, kinésithérapeute…) – est l’un des plus prestigieux dans le petit monde de la « méritocratie » républicaine. L’un des plus sélectifs aussi : il laisse sur le carreau 85 % des candidats chaque année. 15 % de taux de réussite, qui dit mieux (ou pire…) ?
Du coup s’est développé depuis des années un vrai « business » de prépas privées. A destination des lycéens de terminale, et plus encore des étudiants de Paces. Cours Thalès, cours Galien, Medisup, IRSS, MMPP et autres proposent des services payants de « tuteurs », la plupart du temps des étudiants en deuxième ou troisième année, « qui expliquent très bien et nous informent mieux que de “vrais” professeurs sur les études, puisqu’ils sortent tout juste de Paces », vante sur le site de cours Thalès une jeune cliente de sa prépa médecine anticipée. Les trois quarts des nouveaux entrants en Paces ont ou ont eu recours à une prépa privée. Et ce, bien que les facultés de médecine aient l’obligation, depuis une dizaine d’années, de proposer un tutorat aux étudiants de Paces, gratuit ou presque, assuré par des étudiants bénévoles.
Cette rentrée 2018 devrait encore accroître la demande d’accompagnement durant la Paces, car plusieurs facultés de médecine (celles de Paris-Descartes, Sorbonne université, Paris-Diderot, Brest…) ont supprimé la possibilité de redoubler en fin de première année. Jusqu’à présent, un étudiant sur trois environ finissait par décrocher le Graal, après une ou deux tentatives au concours. Désormais, dans ces universités, ce sera quitte ou double. Même si des voies parallèles se mettent en place pour poursuivre des études médicales et assimilées, comme l’Alter-Paces (qui permet à des étudiants en licence d’autres cursus d’intégrer la deuxième année d’une filière santé), et même si le numerus clausus tant décrié est en augmentation régulière (5 100 places en 2003, 8 205 en 2018 pour la seule formation de médecins), nul doute que le stress de cette année de passage ne va pas disparaître. Le droit à l’erreur n’existant plus, la sélection « en amont », c’est-à-dire au lycée, risque de se renforcer ; et avec elle le sentiment d’exclusion pour une partie de ceux qui rêvent de « faire médecine ».
Le niveau et l’ambition, mais pas les moyens
C’est pour conjurer ce fameux « déterminisme », théorisé par Pierre Bourdieu, que Bruno Dourrieu, enseignant et conseiller en formation continue au Greta92, porte à bout de bras les stages Prépas + Paces. Cette prépa publique a été lancée au printemps 2016 au lycée Marie-Curie de Sceaux (Hauts-de-Seine) à destination des élèves de terminale, pour des prix inférieurs de moitié à ceux des prépas privées. Une initiative dupliquée cette année à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), au sein du lycée public La Folie-Saint-James, qui proposait déjà une Prépas + Sciences Po à ses terminales.
Bruno Dourrieu et Vincent Cornu, le proviseur de La Folie-Saint-James, se sont assigné une « mission » : rompre avec la malédiction du « c’est pas pour moi » que se disent plein d’élèves « qui ont le niveau, l’ambition, les capacités, mais viennent de milieux modestes ». A cet égard, paradoxalement, l’ouverture d’une classe Prépas + Paces à Neuilly pourrait être un atout. La capacité d’attraction de la très bourgeoise ville de la banlieue ouest de Paris serait forte pour les élèves des lycées voisins de Colombes, Levallois, Courbevoie, Asnières, dont les familles n’ont pas forcément les moyens culturels et financiers des ambitions de leur progéniture.
Pas un simple tutorat
Prépas + va faire évoluer son format en 2019, proposant une semaine supplémentaire de formation à l’issue de laquelle aura lieu un concours blanc, en fin de second semestre – juste avant le début des révisions pour le bac, « qui restent prioritaires » pour M. Dourrieu, également prof de terminale. Au programme, physique, chimie… « toutes les matières qui peuvent donner lieu à des épreuves discriminantes au concours Paces ». La durée totale et le prix de la prestation augmenteront d’autant, passant de 63,5 heures en 2018 (seize semaines, les samedis après-midi) pour 775 euros, à plus d’une centaine d’heures de cours pour plus de 1 000 euros. Mais le tarif horaire restera très « compétitif », autour de 12 euros, servant à rémunérer la quinzaine d’enseignants enrôlés pour assurer « un véritable enseignement, pas un simple tutorat », insiste le pilote de Prépas +.
Comme à Sceaux, des bourses d’études seront mises en place pour les lycéens les moins favorisés, financées par le Greta des Hauts-de-Seine. Et à l’instar des prépas privées, Prépa + entend se faire connaître et reconnaître dans les lycées, les campus, les salons étudiants. « Nous serons là avec notre label de service public », sourient MM. Dourrieu et Cornu, qui espèrent en faire un atout pour « donner toutes leurs chances aux gamins, les affranchir de cette forme d’“auto sélection” qui se perpétue chez eux » – Bourdieu encore…
« Peut-être un peu trop cool »
Reste à voir si cette quatrième année de Prépa + Paces sera enfin celle du décollage. Les deux premières tentatives, en 2016 et 2017, à Sceaux, n’avaient attiré qu’une douzaine de candidats. Avec des sessions à Pâques et fin août, juste avant la rentrée en Paces, « le calendrier n’était pas optimal », reconnaît l’enseignant du Greta92. En 2018, une nouvelle formule a permis d’attirer 26 stagiaires. Dont Marjolaine Demarle, 18 ans, qui vient de décrocher son bac S avec mention très bien et d’intégrer la Paces de l’université Paris-VI (Pierre-et-Marie-Curie).
Aussitôt le bac obtenu, la jeune femme s’est… réinscrite en prépa ! Privée cette fois, celle de Médisup Sciences, avec une tutrice qui l’accompagnera tout au long de son année de Paces. Le tout pour près de 6 000 euros la saison, dont 1 335 euros le seul stage de prérentrée, fin août, auquel elle vient de participer. Elle a délibérément « choisi une université sans redoublement », Paris-VI. Persuadée que le dispositif Paces One (la Paces en un an testée cette année dans sept universités) remet tous les étudiants de première année sur un pied d’égalité, d’où qu’ils viennent. Elle glisse au passage que c’est « sous la pression de ses parents » qu’elle s’était inscrite à Prépas +. Un dispositif dont elle salue « l’engagement ». Mais si, elle n’y a, pour sa part, « pas appris grand-chose ».
La page est tournée. Sans regret. Mais non sans une pointe de critique. A Sceaux, « on ne nous mettait peut-être pas assez la pression, réfléchit Marjolaine à voix haute. Des cours le samedi après-midi, des profs sympas, une ambiance tranquille – peut-être un peu trop cool… » Une prépa « cool », le rêve de tout étudiant…