Un labo kényan pour lutter contre le fléau du dopage en Afrique de l’Est
Un labo kényan pour lutter contre le fléau du dopage en Afrique de l’Est
Par Marion Douet (Nairobi, correspondance)
Ses coureurs de fond brillent en compétition, mais le pays a vu sa réputation sérieusement entachée ces dernières années.
Le coureur kényan Asbel Kiprop (droite), ici à Doha en mai 2016, a été contrôlé positif à l’EPO en novembre 2017. / KARIM JAAFAR/AFP
Le contrôle antidopage des champions kényans s’apparentait jusque-là à une course contre la montre. Collectés sur les hauts plateaux où s’entraînent les sportifs, à plusieurs centaines de kilomètres à l’ouest de Nairobi, les échantillons de sang devaient être envoyés et analysés en Europe, le tout en moins de trente-six heures. Une fenêtre étroite qui posait d’importants problèmes logistiques, de surcoûts et d’entorses au règlement.
Désormais, ils seront analysés sur place : lundi 27 août, Pathologists Lancet Kenya, un laboratoire qui traite 4 000 échantillons par jour et travaille avec certains des plus grands hôpitaux de Nairobi, a été accrédité par l’Agence mondiale antidopage (AMA) pour réaliser des contrôles sur les athlètes d’Afrique de l’Est (Kenya, Ethiopie, Erythrée, Tanzanie et Ouganda).
Preuve de l’enjeu, c’est l’Unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU), l’organisme mondial chargé de faire respecter les normes de l’AMA et de mener les tests au sein de la Fédération internationale d’athlétisme, qui a financé le processus d’accréditation. « Ce projet répond à un besoin réel, la situation de la course au Kenya étant difficile, explique par Brett Clothier, directeur de l’AIU. La course de fond y est très importante et fait l’objet d’un risque élevé de dopage. »
Soupçons de corruption
Le sport phare du Kenya, dont les athlètes brillent dans les compétitions internationales, a vu sa réputation d’excellence et surtout d’honnêteté sérieusement entachée ces dernières années. En 2016, le pays a failli être exclu des Jeux olympiques de Rio pour non-respect des critères internationaux en matière de dopage. En urgence, Nairobi a fait voter une loi et créé l’ADAK, l’Agence kényane de lutte contre le dopage. Suffisant pour participer à la compétition, mais pas pour anéantir le phénomène.
Les cas de dopage se sont même multipliés, accompagnés parfois de soupçons de corruption. Parmi les scandales récents, le plus spectaculaire est celui d’Asbel Kiprop, 29 ans, champion olympique en 2008 et trois fois champion du monde sur 1 500 mètres. En novembre 2017, bien qu’il ait été prévenu du contrôle et qu’il ait soudoyé la personne chargée du prélèvement, l’athlète a été testé positif à l’EPO. Depuis, d’autres ont été pris : la jeune star Kipyegon Bett, le marathonien Samuel Kalalei ou encore Ruth Jebet, prodige kényane qui court sous les couleurs du Bahreïn.
L’accréditation d’un laboratoire au Kenya arrive donc à point nommé. La Fédération kényane d’athlétisme a salué « l’une des meilleures nouvelles de l’année ». « Les athlètes qui choisiront de se doper en subiront les conséquences », a martelé son président, Jackson Tuwei.
Dans les esprits se profilent déjà les Championnats du monde de Doha, à l’automne 2019. Selon Ahmed Kalebi, fondateur de Pathologists Lancet en 2009, l’accréditation de son laboratoire va permettre de mieux préparer cet événement : « On ne peut mesurer avec certitude la prise d’EPO qu’en regardant le sang sur une longue période. Or, jusqu’à présent, il n’y avait pas assez de données sur le long terme pour les athlètes africains. Notre présence va permettre plus de tests et donc plus de données. »
Des échantillons scellés
Le biologiste, formé en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, veut croire que l’existence d’un contrôle local jouera un rôle dissuasif auprès des athlètes, qui peuvent se procurer de l’EPO pour quelques centaines d’euros même dans les régions relativement isolées où ils s’entraînent. Une dépense que certains jeunes, souvent issus de milieux modestes, n’hésitent pas à faire si elle peut mener à la gloire et à la fortune des podiums.
« Je n’ai pas d’inquiétude sur la qualité des résultats, c’est notre job, poursuit Ahmed Kalebi. Ce qui a pu m’inquiéter, c’est que les échantillons, censés être anonymes, arrivent avec le nom de l’athlète. Vous savez, il y a beaucoup d’argent en jeu. Je fais confiance à mon équipe, mais l’argent peut représenter une grande tentation. Ils pourraient aussi être menacés, subir du chantage. »
Finalement, conclut-il, le système de l’AIU lui inspire une « confiance absolue ». Les échantillons arriveront numérotés et scellés et seule une machine spécifique pourra les ouvrir, le laboratoire s’est équipé de caméras de surveillance qui enregistreront toutes les étapes du processus et les résultats seront transmis via un serveur sécurisé « mais sans les interpréter ».
L’accréditation de Pathologists Lancet, valable un an, est révocable à tout moment. Une décision qui rebattrait de nouveau les cartes sur le dopage dans la région, l’AIU n’ayant pas prévu de financer l’accréditation d’autres laboratoires en Afrique.