LES CHOIX DE LA MATINALE

Au programme cette semaine, la revanche d’une femme bafouée au XVIIIe siècle, une incursion dans le Leningrad des artistes en 1971, un hommage à une mère défunte fan de Bruce Springsteen et un documentaire sur les forêts, où il est question de mal-forestation.

« Mademoiselle de Joncquières » : la vengeance d’une femme

MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES Bande Annonce (2018) Cécile de France, Edouard Baer, Alice Isaaz
Durée : 02:01

Le premier film en costumes d’Emmanuel Mouret (Caprice, 2015), drolatique pastelliste des choses de l’amour (L’Art d’aimer fut le titre ovidien d’un de ses films), est l’adaptation d’un épisode bien précis du roman philosophique Jacques le Fataliste, de Diderot, bien connu des cinéphiles pour avoir déjà prêté son argument aux Dames du bois de Boulogne (1945), de Robert Bresson, sombre et magnétique chef-d’œuvre du cinéma français de l’Occupation. Les deux films racontent, peu ou prou, la même histoire : la vengeance d’une femme bafouée qui ourdit contre son amant volage une machination implacable, vouée à l’humilier publiquement.

Pourtant, la version de Mouret se défait significativement de cette parenté intimidante, pour se montrer fidèle à Diderot, investir corps et âme un XVIIIe siècle où les délibérations amoureuses empruntent les subtils cheminements de la philosophie morale. Servi par Cécile de France et Edouard Baer dans les rôles principaux, ce film ironique n’est pas pour autant cruel, et l’on ne trouvera pas ici de ces jeux de domination ou concerts de persiflages, dans le style des Liaisons dangereuses. La beauté du film tient au contraire à ce qu’il montre une égale bienveillance envers tous ses personnages, curieux de leurs contradictions, mais jamais sévère envers elles. Mathieu Macheret

Film français d’Emmanuel Mouret. Avec Cécile de France, Edouard Baer, Alice Isaaz, Natalia Dontcheva, Laure Calamy (1 h 49).

« Thunder Road » : l’enterrement de maman

THUNDER ROAD Bande Annonce (2018) Comédie
Durée : 02:05

Le jour de l’enterrement de sa mère, Jimmy Arnaud, policier texan, prend place devant l’assemblée pour faire un discours. Les souvenirs se mêlent anarchiquement aux regrets, la scène dure, n’en finit plus. Le fils endeuillé raconte la fois où sa mère enregistrait tous ses cours de fac sur des cassettes, car il était dyslexique. Jimmy fond en larmes, anéanti par le souvenir d’une mère si bonne et qu’il regrette de ne pas avoir assez remerciée. Les convives sont figés par la gêne, tandis que le policier raconte la passion de la défunte pour Bruce Springsteen, et plus particulièrement pour la chanson qui donne son titre au film.

En quelques minutes, qui doivent en durer dix, le programme est à peu près fixé : Jim Cummings aimantera tout du long la caméra, prenant tout l’espace pour une sorte de performance façon Actors Studio totalement déréglée. La scène ne s’étire pas dans le sens d’un morceau de bravoure, mais vers le désarroi, l’impuissance – elle se dégonfle. Tout ici semble sincère, donc parfois maladroit et légèrement bancal. Thunder Road appartient à cette catégorie de films qui valent comme geste, qu’on ne peut aimer que totalement et avec l’enthousiasme que provoque une rencontre qu’on sait faite pour durer. Murielle Joudet

Film américain de Jim Cummings. Avec Jim Cummings, Kendal Farr, Nican Robinson (1 h 31).

« Dovlatov » : quelques journées d’un artiste soviétique avant l’exil

DOVLATOV Bande Annonce (2018) Biopic, Sergei Dovlatov
Durée : 02:08

Plutôt que d’embrasser tout le parcours de l’écrivain Sergueï Dovlatov, né en 1941, exilé aux Etats-Unis de 1978 à sa mort en 1990, Alexeï Guerman Jr a choisi de le suivre à la trace pendant quelques jours de l’année 1971, au moment de la célébration de l’anniversaire de la révolution d’Octobre. Hasard du tournage ou patience délibérée du cinéaste, il neige sur Leningrad (l’actuelle Saint-Pétersbourg). Les lampions, les affiches colorées à l’effigie de Marx, Engels et Lénine sont voilés par les flocons, masqués par le brouillard. La question implicite est, bien sûr : comment pouvait-on espérer bâtir un monde nouveau dans les congères, sous des arbres sans feuilles ?

Dans cette agitation propagandiste, Sergueï Dovlatov (l’acteur serbe Milan Maric) traîne sa grande carcasse, tentant de son mieux de collaborer à de petites publications émanant de diverses instances du parti. Le réalisateur est né en 1976, peu de temps avant que Dovlatov ne soit contraint à l’exil. Le père du cinéaste – Alexeï Guerman – vit le plus fameux de ses films, La Vérification, rester sur les étagères de la censure soviétique pendant quinze ans, de 1971 à 1986. Mais Guerman père, qui travaillait à Leningrad, se refusa toujours à l’exil. Il y a sans doute quelque chose d’un hommage filial dans la manière dont son fils filme la métropole des Soviets, les bureaux où agonisent les plantes vertes, les appartements collectifs, une étrange nostalgie mêlée d’horreur pour le défunt système. Thomas Sotinel

Film russe d’Alexeï Guerman Jr. Avec Milan Maric, Danila Kozlovski, Helena Sujecka, Artur Beschastny (2 h 06).

« Le Temps des forêts » : des arbres plantés pour le décor

LE TEMPS DES FORETS - Bande annonce
Durée : 01:34

Ça sent le sapin. Il flotte une atmosphère de mort latente, pas visible à l’œil nu, dans le documentaire de François-Xavier Drouet, sobrement intitulé Le Temps des forêts. Les arbres sont bien là, dans le Limousin, le Morvan, les Vosges ou les Landes. Mais cette verdure rassurante – surtout pour les citadins – devrait pourtant nous inquiéter. Il faut dessiller les yeux du spectateur. Toute la force et l’originalité du film réside dans la déconstruction de l’image de la forêt authentique, au fil d’une enquête patiente et tenace.

Comme pour démasquer les faux-semblants, le film s’ouvre sur l’image d’une forêt sur le plateau de Millevaches. L’instant d’après apparaît une carte postale ancienne du même paysage, mais dénudé. A l’origine, les arbres n’existaient pas. Ils ont été plantés pour des raisons industrielles, et le paysage s’est assombri, explique en voix off une vieille dame, qui telle une conteuse ajoute : « Les sapins m’ont fait partir. » La promenade commence, et on entre petit à petit dans ce sujet touffu et paradoxal, où le tapis d’aiguilles peut être un signe de mauvais présage. Clarisse Fabre

Documentaire français de François-Xavier Drouet (1 h 43).