A Idlib, en Syrie, le 3 septembre 2018. / Khalil Ashawi / REUTERS

Les bombardements se sont intensifiés sur la province d’Idlib, la dernière région encore tenue par les rebelles en Syrie, faisant craindre une offensive des forces du président Bachar Al-Assad. Au Yémen, la guerre se poursuit alors que les Nations unies ont de nouveau échoué à réunir les belligérants pour des pourparlers. Geert Cappelaere, directeur régional de l’Unicef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a confié au Monde ses inquiétudes sur le sort des enfants qui subissent la guerre à Idlib, ou au Yémen.

Quelles conséquences pourraient avoir une offensive sur Idlib pour les enfants ?

Il y a aujourd’hui dans la province environ un million d’enfants sur une population totale de 3,5 millions. Parmi eux, 350 000 au moins ont déjà été déplacés plusieurs fois et ont subi une offensive. Chaque fois que l’on parle d’attaque imminente, je me mets dans la tête de ces milliers d’enfants, qui savent ce qui va se passer, ont été déracinés et ont perdu des proches dans les multiples offensives, pour comprendre leur peur.

La situation de l’ensemble des enfants d’Idlib est précaire. Cela fait des années qu’on a du mal à apporter une aide humanitaire à l’échelle des besoins. Ces enfants ont manqué de services de santé et sociaux de base. On vient de faire une enquête à partir d’un échantillon représentatif sur l’état nutritionnel, qui a montré un taux de malnutrition aigu, multiplié par trois ou quatre. La majorité des enfants d’Idlib ne vont pas à l’école, car leurs parents ont peur d’une offensive imminente. Presque la moitié des écoles d’Idlib ne fonctionnent pas par manque d’enseignants qualifiés.

Avez-vous les garanties de pouvoir intervenir en cas d’offensive ?

On a négocié avec la Turquie de pouvoir porter une assistance depuis le canton d’Afrin et on a eu son accord. On pourrait imaginer de mettre en place un corridor pour que les populations d’Idlib rejoignent Afrin. Un corridor pourrait aussi être envisagé vers Alep, mais on ne sait pas si la population est convaincue de revenir dans les territoires sous contrôle gouvernemental et il est important pour nous que rien ne se fasse sous la contrainte. On a besoin que la frontière turque reste ouverte, mais la Turquie n’est pas claire sur ce qu’elle va faire. Si elle ferme sa frontière, nous voulons la garantie qu’elle soit ouverte a minima pour les enfants menacés.

On a prépositionné des fournitures pouvant servir à 500 000 enfants dans toute la province. On a amplifié nos partenariats avec une centaine d’organisations locales. Dès que les besoins vont se manifester, on pourra débloquer des financements pour permettre à nos partenaires d’opérer. Notre seul souci est de ne pas être en mesure de livrer une assistance à l’échelle nécessaire et à temps.

Vous avez rencontré les autorités françaises, quelles attentes avez-vous formulées ?

La France est un partenaire dans la promotion du respect pour la protection de l’enfance. Cela fait trente-cinq ans que je travaille dans l’humanitaire, or, dans les crises actuelles, notamment au Moyen-Orient, on constate que le principe sacré de protection de l’enfance, pour lequel les parties faisaient avant des efforts, n’est plus respecté par elles ni par ceux qui ont une influence sur ces conflits. Il n’y a qu’à voir le nombre d’enfants tués ou blessés dans les conflits en Syrie et au Yémen, ou même d’écoles bombardées. On a même du mal à avoir l’écoute des parties au conflit lorsqu’il faut intervenir auprès d’enfants isolés.

Quel est l’impact de sept ans de guerre en Syrie sur les jeunes générations ?

Nous ne sommes pas encore en mesure de dire quelle sera la profondeur de l’impact, si ce n’est qu’il est impressionnant. On risque d’être confronté à une génération d’enfants perdus. Ce n’est pas encore le cas. Les enfants sont incroyablement résilients, mais il y a une limite, donc il faut que cette guerre s’arrête. Quel en l’est l’objectif si l’on tue les enfants et détruit les écoles ?

Il y a 2,5 millions d’enfants qui sont réfugiés dans les pays voisins de la Syrie. Plus de 500 000 Syriens sont nés dans ces pays et n’ont connu que la situation de réfugié. S’ils rentrent en Syrie, seront-ils reconnus comme citoyens syriens ? Malgré les efforts de la société civile, encore deux millions d’enfants n’ont pas accès à l’éducation en Syrie ou à l’extérieur. Et ceux qui sont allés à l’école ont pâti d’une dégradation de la qualité de l’enseignement. Or, l’éducation est essentielle pour retisser la cohésion sociale. On commence à parler de reconstruction en Syrie uniquement sous l’aspect des infrastructures alors que le plus problématique est la destruction de la cohésion sociale.

Le conflit au Yémen a été qualifié de plus grande crise humanitaire par l’ONU, qu’en est-il de la situation des enfants ?

C’est la plus grande crise humanitaire également du point de vue de l’enfant, et ce, pas uniquement à cause des trois dernières années de conflit. Le pays est chroniquement sous-développé. Chaque fille et garçon yéménite est aujourd’hui en besoin aigu d’aide humanitaire. A la différence de la Syrie, la population la plus vulnérable au Yémen n’a jamais eu l’opportunité de quitter le pays. Les enfants sont piégés dans un pays, dans un environnement qui est déjà sous-développé.

Avec le nouvel émissaire des Nations unies pour le Yémen, Martin Griffiths, on a décidé de mettre deux dossiers relatifs à l’enfance au cœur des négociations, car ils peuvent être rassembleurs pour les parties. Le premier est de faire une trêve pour nous permettre de vacciner les enfants. Toutes les dix minutes, un enfant meurt au Yémen pour des raisons médicales. Le second dossier est le paiement des salaires des enseignants : 75 % d’entre eux n’ont pas eu de salaires ces deux dernières années, donc, de moins en moins peuvent enseigner.

Syrie : le dernier bastion rebelle sous les bombes
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