Etre pauvre, c’est « ne pas être libre », « dépendre des administrations »…
Etre pauvre, c’est « ne pas être libre », « dépendre des administrations »…
Par Aline Leclerc, Isabelle Rey-Lefebvre
Alors qu’Emmanuel Macron détaille son plan pour lutter contre la pauvreté, des Français témoignent.
« Vous considérez-vous comme pauvre ? » A cette question que nous avions posée il y a quelques années durant toute une journée aux personnes qui poussaient la porte d’une permanence du Secours populaire, une seule avait admis l’être, et à demi-mot : « Je crois qu’on peut dire que je suis pauvre, je dois tout compter, faire attention à tout. » La plupart avaient plutôt le réflexe de rétorquer : « Non, y’a pire, je me débrouille. J’ai de la chance j’ai un toit sur la tête alors que tant de gens sont dans la rue. »
Etre pauvre, c’est se priver parfois d’un repas, mais aussi de soins. « J’ai dû appeler une vingtaine de dentistes avant qu’un seul accepte de traiter ma rage de dents », raconte un ancien SDF. C’est aussi imposer des sacrifices à ses enfants, leur refuser une inscription au club de foot, n’inviter jamais personne chez soi…
Mais, surtout, « ne pas être libre !, confie Marie, 48 ans, rencontrée au Secours catholique. On dépend des administrations pour tout, il faut sans cesse remplir des dossiers. » En fin de droits, au chômage, elle touche l’allocation de solidarité spécifique : « Tous les six mois, on me réclame mon avis d’imposition, il faut faire des photocopies, se déplacer… Tout cela prend une énergie phénoménale. »
Ne pas pouvoir faire de projets
Etre pauvre, c’est ne pas disposer d’Internet et dépendre des autres pour avoir accès aux informations. C’est connaître l’incertitude du lendemain, ne jamais savoir sur quoi on peut compter – la prise en charge des frais d’hôtels par le Samu social par exemple peut s’interrompre à tout moment. Et, le plus difficile à vivre, avoir le sentiment d’être mis au ban de la société. « Quand vous êtes à la rue, les seules personnes qui vous parlent ce sont celles qui sont payées pour le faire », résume un ancien sans-abri.
La précarité, c’est aussi ne pas pouvoir faire de projets, devoir économiser des mois pour offrir un vélo à son fils ou pour se vêtir en vue d’un entretien d’embauche. Adrien Durousset, âgé de 26 ans, a décrit son parcours de foyers en familles d’accueil dans Placé, déplacé, le combat d’un enfant sacrifié (éditions Michalon). Il a vu s’ouvrir une porte de sortie grâce à un expert-comptable qui lui a proposé de préparer son BTS de comptabilité en apprentissage.
« Pour cet entretien, j’avais économisé pendant trois mois, en allant à la Banque alimentaire, pour m’acheter une veste et un pantalon, pas un vrai costume, et des chaussures », raconte-t-il. A la vue du bureau en chêne massif et des fauteuils en cuir dans le bureau de son interlocuteur, il a réalisé qu’ici la pauvreté n’avait pas sa place, « et j’ai eu envie de ça », dit-il. Le « patron » l’a prévenu d’emblée de laisser ses soucis à la porte de l’entreprise : « Ça m’a fait un bien fou d’être comme les autres et non plus renvoyé sans cesse à mon statut d’ancien enfant placé. »