« Killing Eve » : un thriller entre dures à cuire facétieuses
« Killing Eve » : un thriller entre dures à cuire facétieuses
Par Martine Delahaye
La série créée par Phoebe Waller-Bridge est un concentré d’espionnage pur sucre mâtiné d’humour noir.
En 2016, dans sa série dramatique Fleabag (disponible sur Amazon), l’auteure et comédienne Phoebe Waller-Bridge se jouait allègrement des stéréotypes féminins en dépeignant la vie chaotique d’une jeune Londonienne en mal d’un amour-amant et d’un sens à sa vie.
Le défi est tout autre avec Killing Eve, puisque Phoebe Waller-Bridge n’y adapte plus sa pièce pour l’écran, comme avec Fleabag, mais le roman Codename Villanelle, de son compatriote Luke Jennings. Pour une série qui répond aux codes du thriller d’espionnage, mais dont les personnages principaux, une fois n’est pas coutume, sont féminins.
L’une se nomme Eve Polastri, et s’ennuie gentiment en tant qu’agent de bureau aux services secrets à Londres (le MI5). Passionnée de psychologie criminelle, elle va assez vite intégrer les services secrets extérieurs, le MI6, pour avoir enquêté à ses heures perdues sur une série de meurtres inexpliqués dans différentes villes d’Europe ; des meurtres dont le modus operandi l’a amenée à penser qu’ils sont perpétrés par une femme.
Cette piste, une fois acceptée par sa hiérarchie, la mène sur les traces d’une psychopathe mi-ado mi-femme fatale, dénommée Villanelle par ses mystérieux commanditaires. Or, ce qui devait s’apparenter à un jeu du chat et de la souris entre l’agent Eve Polastri et la tueuse à gages Villanelle va peu à peu évoluer en celui du chat traqué par la supposée souris…
Deux comédiennes de grand talent
Aussi différentes soient-elles (l’une, plutôt éteinte, mène une douce vie plan-plan, l’autre, solaire, sans cesse sur la brèche, change continûment de rôle et de ville), ces deux femmes ont en commun d’être des dures à cuire, déterminées et ambitieuses, tenaces, voire obsessionnelles, mais aussi facétieuses, parfois. Car Phoebe Waller-Bridge, tout en mettant en scène des espions, des trahisons et de la violence, n’a pas manqué d’épicer le tout de touches d’humour. Sans atteindre l’art des frères Coen – ou même de Noah Hawley, auteur de trois excellentes saisons recréant leur univers d’après Fargo –, mais sans décrédibiliser le thriller qu’entend être Killing Eve.
Une preuve magistrale en est donnée lorsque la patronne de la cellule secrète du MI6, Carolyn Martens (Fiona Shaw), se désole qu’Eve assiste à ce qu’elle va faire : pour obtenir les aveux d’un espion britannique retourné par les Russes, elle ne va ni le harceler ni le torturer, mais le prendre dans ses bras tel un bébé, expliquant qu’elle connaît bien le pauvre homme, qu’il a besoin d’amour…
Sans révolutionner le genre pour autant, et non exempt de quelques longueurs, Killing Eve multiplie les changements de décor et d’ambiance, soutient rythme et suspense le plus souvent avec une belle constance, et met en scène deux comédiennes de grand talent : la jeune Jodie Comer (Docteur Foster, The White Princess) et Sandra Oh (ex-Grey’s Anatomy). Killing Eve vaut d’ailleurs à cette dernière d’être nommée pour l’Emmy Award de la meilleure actrice dans une série dramatique et à Phoebe Waller-Bridge de l’être pour son écriture. Les trophées seront remis lundi 17 septembre à Los Angeles.
Killing Eve, série créée par Phoebe Waller-Bridge. Avec Sandra Oh, Jodie Comer, Fiona Shaw (GB, 2018, 8 × 60 min). Disponible en intégralité et en version multilingue sur Canal+ à la demande dès ce jeudi 13 septembre.