Victor François, le 13 juillet 2018, à la veille de sa participation au défilé militaire sur les Champs-Elysées, dans les rangs des élèves de l’Ecole polytechnique / Adrien de Tricornot/Le Monde

Le 14 juillet 2018, le jeune aspirant Victor François a descendu les Champs-Elysées en compagnie de ses camarades de première année de l’Ecole polytechnique. Dans les tribunes officielles, ses parents, Philippe et Delphine, venus de Mont-Bernanchon, commune rurale du Pas-de-Calais, pouvaient savourer son parcours : il est l’un des deux titulaires d’un bac technologique admis à l’X l’an dernier.

« Le fait que l’X ait été créé pour servir l’Etat, ça a joué dans mon choix. L’école nous offre énormément et nous pousse à rendre ce que l’on reçoit. Nous faisons des études dans un cadre exceptionnel », se réjouit le jeune homme, rencontré dans un café parisien la veille du défilé. « Je ne sais pas encore ce que je ferai après. J’aimerais bien travailler dans le spatial ou le développement durable. Ce sera un moyen de rendre à la collectivité », dit-il.

« Il y avait plus de concret au lycée professionnel » 

C’est au collège que Victor François a pris son premier virage. « On a visité un lycée général : des bâtiments anciens, austères, et il n’était pas attiré par l’établissement. Il a dit : “Jamais je n’irai là-dedans” », se rappelle son père, professeur de musique. Le lycée professionnel Saint-Joseph d’Hazebrouck (Nord) ayant ouvert une classe STI2D (sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), « on l’a aussi visité, et ça lui a plu. Il y avait une voiture électrique, une éolienne… Il y avait plus de concret, et la sensibilité au développement durable : c’est un écologiste ! », lance le papa. Son frère, de quatre ans son aîné, avait montré la voie : il avait choisi de se former en boulangerie, plutôt que de suivre la voie générale suggérée par ses enseignants. Ce qui lui a permis de travailler au Royaume-Uni, puis en Australie, avant de s’installer en Nouvelle-Zélande où il est « manageur en boulangerie », dit avec un brin de fierté le père : « Quand vous faites ce qui vous plaît, ça marche beaucoup mieux ! » résume Philippe François.

Au lycée, Victor réussit très bien sans beaucoup travailler, de son propre aveu. Mais il trouve parfois les autres trop peu motivés. « Quand je suis arrivé en 1re, c’était déjà un élève brillant, le meilleur de notre groupe d’amis, et on se charriait sur ça… », se rappelle Julien Bernard, aujourd’hui élève ingénieur à l’ECE Paris. Avec sa maman, Victor visite les écoles d’ingénieurs de la Catho – l’université catholique – de Lille, comme HEI ou l’ICAM. « Cela me plaisait. Mais je n’étais pas du tout au courant des classes prépa. A un forum des grandes écoles à Lille, j’ai rencontré un étudiant des Arts et Métiers qui avait fait un bac STI [l’ancienne version du STI2D] et une prépa ATI [assistance technique d’ingénieur]… », explique Victor, qui commence alors à s’y intéresser. « Ma femme, qui est préparatrice en pharmacie, et moi, qui ai passé le bac F1 mécanique, on n’a pas fait de hautes études. Mais on l’a toujours laissé faire : on lui faisait confiance », explique son père.

Épreuve spécifique

« J’avais un peu d’appréhension qu’il soit déçu finalement, et à cause du stress du concours, témoigne la maman, Delphine François. Mais il était plutôt serein en prépa, avec des hauts et des bas, mais plutôt bien. Il était très bien encadré, ils l’ont mis en confiance. » Après avoir obtenu son bac avec 19,22 de moyenne, Victor arrive, comme interne, en classe préparatoire au lycée Colbert de Tourcoing (Nord). « On s’est rendu compte que c’était un élève qu’on pourrait pousser, à qui on pouvait en demander davantage et même qui le demandait, raconte sa professeure de physique, Béatrice Wlodarczak. En deuxième année, je lui ai dit : et pourquoi tu ne tenterais pas l’une des deux places de l’Ecole polytechnique ? » L’X organise une épreuve spécifique en plus du concours pour les bacheliers technologiques. « De lui-même, il n’y croyait pas », explique l’enseignante. Elle, y croit dur comme fer : « C’est un physicien, un vrai ! Je n’ai pas eu honte de lui dire qu’il était meilleur que moi à son âge. Lui me disait : “Mais non !” Pourtant, il a bien eu 20 au concours en physique. Chapeau ! » Et bingo !

A Polytechnique, se souvient Victor, « quand on arrive, il y a des provinciaux un peu perdus, et surtout beaucoup d’élèves des grandes prépas parisiennes, avec déjà des cercles d’amis. Puis les stages arrivent, et ça évolue : on le sent pendant la formation militaire initiale ». Le jeune homme est incorporé sur la base aérienne d’Orléans-Bricy. « Entre élèves, on a beaucoup de points communs et quelques différences. Moi, particulièrement, c’est ma filière et mon parcours. Tous les jours, j’y ai droit mais d’une façon très sympa. Ils sont très surpris qu’on puisse venir d’un bac STI2D », ajoute-t-il. Ce qui ne l’empêche pas d’être « super heureux » à Polytechnique et d’apprécier les liens noués aussi grâce à l’internat.

« Quand on le voit, qu’on discute avec lui, on ne se douterait pas qu’il est dans la meilleure école de France. Ce n’est pas quelque chose qui l’a fait changer. Il reste simple et il fait la part des choses », conclut son ami Julien Bernard. « Et trente ans après moi, il a défilé le 14 juillet sur les Champs-Elysées ! », s’enthousiasme son papa, premier prix de tuba au Conservatoire de Paris, qui avait fait son service dans la musique militaire.