Parcoursup, révélateur de l’appétence pour les filières sélectives et le privé
Parcoursup, révélateur de l’appétence pour les filières sélectives et le privé
Par Adrien de Tricornot
L’appétit pour les écoles post-bac, les prépas, les BTS, IUT ou Sciences Po dévoile un mouvement de fond qui bénéficie aux formations privées.
Université catholique de Lille / UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE
« Parcoursup a redonné une vraie liberté de choix. Cette liberté, les futurs étudiants l’ont pleinement exercée. » En choisissant massivement des filières sélectives, aurait pu ajouter Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, lors de ce premier constat fait à propos de Parcoursup, dès le 13 avril 2018, alors que la nouvelle plate-forme d’Admission post bac s’apprêtait à livrer ses premiers résultats. Quelque 68 % des vœux formulés par les lycéens (6,3 millions) sur Parcoursup ont en effet porté sur des cursus sélectifs, notamment les STS (sections de technicien supérieur), les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles), les IUT (instituts universitaires de technologie), les écoles postbac…
Le nombre de candidats émettant un vœu en IUT a ainsi progressé de 25 %, et la hausse s’est établie à 16,2 % pour les écoles d’ingénieurs postbac, à 15,5 % pour les STS et à 11,7 % pour les classes préparatoires. Les concours ont également continué à attirer de plus en plus de demandes, selon leurs organisateurs et les établissements concernés. La hausse a été de 15 % à Sciences Po cette année (15 592 candidats par les différentes voies), un phénomène qui ne se limite pas à l’Institut d’études politiques parisien : à Sciences Po Bordeaux, par exemple, 4 721 candidats ont postulé, soit 13 % de plus qu’en 2017.
Un cinquième des étudiants dans le privé
Claude Maranges, président de la commission d’admission du groupe d’écoles d’ingénieurs INSA, confirme cette tendance : 17 200 postulants, soit un boom de 20 % (et 5 000 de plus en quatre ans). « On constate depuis plusieurs années que les formations en cinq ans, avec une spécialisation progressive, correspondent bien aux attentes des lycéens », souligne M. Maranges. L’engouement est le même pour le Groupe des universités de technologie (Compiègne, Troyes et Belfort-Montbéliard) : 7 900 candidats à l’entrée cette année, soit 2 000 de plus en deux ans, ou pour la prépa (intégrée) des INP, le réseau français d’écoles publiques d’ingénieurs : + 20,5 % (5 319 candidats). Ou encore 8 512 candidats (+ 17,5 %) pour le concours Avenir et 8 000 pour le concours Puissance Alpha (+ 20 % par rapport aux deux concours qu’il a remplacés, Alpha et Puissance 11 ), qui recrute des élèves ingénieurs pour des écoles privées.
Au cours des dernières décennies, cet appétit pour les filières sélectives a eu pour corollaire la croissance des effectifs des établissements d’enseignement supérieur privé. La France compte 900 000 étudiants de plus qu’en 1990, dont 250 000 ont rejoint le secteur privé, qui a ainsi doublé de taille. Sur les 2,6 millions d’étudiants recensés par le ministère en 2016-2017, 475 000 suivent un cursus dans un établissement privé. Une partie est labellisée « établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général » (EESPIG), une qualification créée par la loi de juillet 2013 sur l’enseignement supérieur. Les effectifs des cinq « Cathos » – les instituts et facultés catholiques de Lille, Paris, Lyon, Angers et Toulouse – ont par exemple doublé de 2003 à 2015, passant de 14 000 à 28 600 étudiants, et atteignent le chiffre de 31 036 étudiants en 2017-2018, selon leur fédération, l’Udesca. Encore ce chiffre ne prend-il pas en compte les écoles qu’elles ont créées : la Catho de Lille et ses écoles pèsent ensemble et à elles seules plus de 30 000 étudiants.
Mais là où l’université, qui accueillait toujours, au cours de l’année universitaire 2016-2017, la majorité des effectifs étudiants (57,7 %, hors IUT), a dû faire face au goulet d’étranglement des moyens dans ses filières les plus demandées – droit, santé, sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), psychologie –, les écoles privées ont pu ouvrir de nouveaux cursus payants. Les effectifs des écoles d’ingénieurs privées ont presque quadruplé depuis 1990 (de 14 000 à 52 700), tandis que ceux des écoles de commerce privées ont plus que triplé (de 46 000 à 152 900). Or ces deux catégories ne sont pas réputées pour leur mixité sociale : leur prix introduit un biais dans la sélection, en dépit des efforts pour développer les systèmes de bourses et l’alternance. Et les écoles privées paramédicales (25 800 étudiants), celles préparant aux fonctions sociales (30 800) ou d’autres types d’écoles (53 600) accueillent aussi des dizaines de milliers d’étudiants hors du service public.
Les comparaisons avec la session précédente sont certes peu aisées car les règles ont changé entre-temps : Admission post bac (APB) obligeait les bacheliers généraux à formuler au moins un voeu d’orientation « de sécurité », dans une filière de l’université non sélective, dite à « pastille verte ». Il reste que le nombre de candidats ayant formulé un vœu dans au moins une formation sélective a nettement augmenté cette année : 623 825 ont tenté leur chance, soit 76,8 % des inscrits sur Parcoursup et environ 80 000 de plus qu’en 2017 sur APB. Tandis que 551 593 des inscrits de Parcoursup, soit 67,9 % (pour partie les mêmes), ont demandé à entrer en licence à l’université (32 % du total des vœux).