Affaire Laporte : la fédération française de rugby temporise face au ministère des sports
Affaire Laporte : la fédération française de rugby temporise face au ministère des sports
Par Adrien Pécout
Le ministère préconise le renouvellement intégral de la commission d’appel, sur laquelle Bernard Laporte, président de la FFR, est soupçonné d’avoir fait pression pour réduire des sanctions contre Montpellier.
C’est un courrier resté en suspens. Le 24 juillet, alors ministre des sports, Laura Flessel écrit à Bernard Laporte. Sa lettre, dont Le Monde a pris connaissance, encourage le président de la Fédération française de rugby (FFR) à « poursuivre tous les changements nécessaires » pour « garantir un fonctionnement plus transparent et démocratique ».
Dans son courrier, Mme Flessel prend acte des promesses de la FFR, qui s’est engagée à mettre en œuvre plusieurs préconisations ministérielles. Le ministère attend tout particulièrement de la « fédé » qu’elle réforme sa commission disciplinaire d’appel, après la révélation, en août 2017, de suspicions de conflits d’intérêts entre Bernard Laporte et Mohed Altrad, président du club de Montpellier : deux mois plus tôt, des sanctions à l’encontre du club avaient été revues à la baisse par la commission d’appel, M. Laporte, par ailleurs lié contractuellement à M. Altrad, étant soupçonné d’avoir fait pression pour qu’il en soit ainsi.
Mais le ministère regrette une chose. Depuis que l’inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS) a rendu son rapport et l’a transmis, en décembre 2017, au parquet national financier, la FFR continue d’ignorer une préconisation en particulier : la Fédération est loin de s’empresser de « procéder au renouvellement intégral de la commission d’appel », commission qui avait pourtant été au cœur des débats.
Ce n’est pas faute, de la part du ministère, d’avoir insisté. Dans leur rapport initial, dont Le Monde a également pris connaissance, les deux enquêteurs de l’inspection générale estimaient cette mesure souhaitable, « compte tenu du discrédit jeté sur la commission d’appel ». Dans son courrier de juillet, Laura Flessel reformulait ce souhait : « Cette solution présente l’avantage de redonner du crédit à cette instance disciplinaire ».
La réunion de Lourdes
Le 4 septembre, deux mois après sa missive, Laura Flessel a finalement dû quitter le ministère des sports : sur fond d’ennuis fiscaux, l’ancienne escrimeuse a passé le relais à l’ex-nageuse Roxana Maracineanu. La FFR, elle, donne toujours l’impression de vouloir remettre à plus tard cette préconisation.
En atteste la dernière réunion mensuelle de son comité directeur. Le 31 août, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), celui-ci a désigné un nouveau président de la commission d’appel : l’avocat parisien Dominique Petat succède à son confrère Me Jean-Daniel Simonet, qui a voulu céder la présidence, mais est resté membre de la commission.
Or, si l’on s’en tient aux préconisations ministérielles, les deux hommes auraient dû quitter l’instance, puisqu’ils en faisaient déjà partie en juin 2017. Tout comme le Palois Robert Malterre, qui, lui aussi, conserve encore sa qualité de membre.
Il y a un an, les révélations du Journal du dimanche avaient pourtant exposé MM. Simonet et Malterre. Tous deux faisaient partie du trio de la commission qui a eu à statuer sur le cas de Montpellier.
Le troisième homme, Philippe Peyramaure (seul représentant de la Ligue nationale de rugby, émanation des clubs professionnels), lui, a présenté sa démission le 24 août 2017. En l’espace de deux semaines, six autres membres (sur treize) de la commission l’ont ensuite imité, quittant ce collège bénévole d’avocats.
« Souci d’apaisement »
« Nous n’avons rien à nous reprocher, ce que nous avons fait nous pouvons le justifier », déclare au Monde Me Simonet, 78 ans, récusant la moindre influence de Bernard Laporte, qui lui avait téléphoné avant l’abaissement des sanctions contre Montpellier. En juin 2017, ce que la commission d’appel a fait était parfaitement fondé, en droit et en fait. »
Pourquoi alors Me Simonet a-t-il décidé, tout en restant membre, de quitter sa fonction de président ? « Très affecté » par la polémique suscitée, l’avocat dit avoir pris cette décision « par souci d’apaisement, pour que le fonctionnement de la commission d’appel ne soit pas perturbé par les turbulences médiatiques. »
Au mois de mai, le journal L’Equipe avait relevé que Jean-Daniel Simonet présidait toujours la commission d’appel. Le même mois, cette médiatisation avait entraîné un premier échange de lettres entre le ministère et la FFR.
Contacté par Le Monde, Me Petat, successeur de Me Simonet, n’a pas donné suite aux sollicitations. Maurice Buzy-Pucheu, vice-président de la FFR, chargé des commissions régaliennes, justifie l’absence de renouvellement intégral : « La commission d’appel est une commission souvent sollicitée, qui fonctionne bien. Pour un fonctionnement intelligent, pratique et serein, on ne peut pas se permettre d’en changer tous les membres. »
M. Buzy-Pucheu rappelle que la FFR a, par ailleurs, en janvier, tenu compte de recommandations du comité fédéral d’éthique et de déontologie. Parmi les membres actuels de la commission d’appel, six ont été désignés sur proposition de la Ligue nationale de rugby.