Reprise : « Rue des Cascades », une enfance dans le Paris postcolonial
Reprise : « Rue des Cascades », une enfance dans le Paris postcolonial
Par Clarisse Fabre
Le film de Maurice Delbez, qui fut un échec à sa sortie en 1964, retrouve le chemin des salles.
Il flotte un parfum assez rare dans le film de Maurice Delbez, Rue des Cascades (1964), chronique d’une enfance dans le Paris populaire des années 1960. Pas seulement l’odeur du bon pain d’autrefois, mais les effluves plus subversives des conversations au bistrot d’Hélène. Chez elle, ça discute, ça se dispute sur l’actualité ou la vie de tous les jours, la décolonisation, les femmes, l’amour. L’ancienne prostituée règle leur compte aux machos ; le vieux réac dispense ses leçons d’histoire ; Lucienne, mariée à un homme âgé, retrouve le sourire avec son jeune amant… Hélène la patronne, interprétée par Madeleine Robinson, est l’image de la tolérance : elle élève seule son fils, Alain, un galopin dont la vraie vie commence après l’école. Hélène a pour amoureux Vincent, noir et visiblement plus jeune qu’elle. Mais elle se sent vieille, et inquiète. « Le Nègre », son fils a du mal à l’accepter.
Racisme « ordinaire »
Ce film est l’adaptation du roman de Robert Sabatier, Alain et le Nègre (1953), salué à l’époque par Les Lettres françaises comme « le premier roman anticolonialiste ». Maurice Delbez, aujourd’hui âgé de 94 ans, avait eu le coup de cœur pour le livre, lui-même ayant grandi dans le café que tenaient ses parents. Il s’est lancé avec fougue dans le tournage de Rue des Cascades, un titre jugé plus prudent, en situant l’action dans les années 1960 à Belleville, et non plus dans le Montmartre des années 1930. Est-ce en raison de son sujet – le racisme « ordinaire » – que le cinéaste ne trouva pas de producteur et autofinança son film. Lequel n’eut pas de succès et l’endetta pour des années.
Sa ressortie en salle, mercredi 19 septembre, après restauration, est accompagnée d’un livret pédagogique à l’attention du jeune public – notamment sur l’usage fréquent du mot « nègre » dans le film, qui peut choquer. Alain apprend à connaître l’amoureux de sa mère, un ancien boxeur qui le fait rire et lui fait découvrir une autre culture. Scène magnifique au milieu des tours naissantes du 20e arrondissement, où les grues du chantier servent de décor à une chasse à l’éléphant imaginaire. Aux yeux d’Alain, Vincent n’est plus le « nègre » mais « l’homme de couleur ».
Bande annonce Rue des cascades (Un gosse de la butte) de Maurice Delbez
Durée : 02:27
Film français de Maurice Delbez (1964). Avec Madeleine Robinson, Serge Nubret, René Lefèvre (1 h 32). Sur le Web : www.malavidafilms.com/cinema/ruedescascades