Le Dickinsonia, le plus ancien animal sur Terre, était ovale et plat
Le Dickinsonia, le plus ancien animal sur Terre, était ovale et plat
Les chercheurs ont eu la preuve de son appartenance animale en utilisant une nouvelle méthode. Elle consiste à analyser des vestiges de molécules récupérées sur des fossiles.
Ilya Bobrovskiy a analysé des vestiges de molécules récupérées sur des fossiles. / Ilya Bobrovskiy / AP
Il était ovale et plat avec une sorte de dorsale centrale, mesurait plusieurs dizaines de centimètres de longueur et vivait au fond des océans, sans bouche, intestins ni anus, il y a un demi-milliard d’années. Des milliers de fossiles de Dickinsonia ont été retrouvés depuis 75 ans sur la planète, mais son appartenance au règne animal – l’un des grands règnes du vivant, avec les plantes, les champignons – faisait débat dans la communauté scientifique. Etait-ce un lichen ? Une amibe ? Un ancien règne disparu ?
Des chercheurs de l’Université Nationale d’Australie (ANU) ont apporté la preuve, selon eux décisive, que la créature était bien l’un des premiers animaux à avoir vécu, en tout cas le plus ancien jamais confirmé. Ils ont décrit leur méthode jeudi 20 septembre dans la prestigieuse revue Science.
Jusqu’à présent, les paléontologues étudiaient la morphologie d’un fossile pour en déduire le type. Ilya Bobrovskiy, doctorant à l’université australienne, a à la place analysé des vestiges de molécules récupérées sur des fossiles, trouvés sur une falaise du nord-ouest de la Russie, dans la région de la mer Blanche. Sur ces fossiles, il a retrouvé des molécules exclusivement animales : une forme de cholestérol.
« Le plus dur a été de trouver des fossiles de “Dickinsonia” contenant encore de la matière organique », explique le chercheur, qui a donc dû aller jusqu’en Russie pour dénicher les spécimens, enfouis dans la roche de la falaise. « Les molécules de graisse fossile que nous avons découvertes prouvent que les animaux étaient grands et nombreux il y a 558 millions d’années, des millions d’années avant ce qu’on croyait », dit le professeur de sciences de la terre à l’ANU Jochen Brocks. Pour l’université, il s’agit ni plus ni moins du « Graal » de la paléontologie.
Une thèse déjà confirmée par des études
D’autres chercheurs ont clamé auparavant avoir résolu le même mystère. En septembre 2017, des chercheurs britanniques s’étaient dits certains du caractère animal de la bête, sur la base de multiples fossiles. Une autre équipe avait conclu en 2015 qu’il s’agissait d’animaux, relativement avancés, en raison de la façon dont leurs corps grandissaient, à la différence des plantes ou champignons.
Mais c’est la nature-même de la recherche scientifique que de confirmer une hypothèse au fil des années, de multiples fois et selon différentes méthodes.
« L’article survend un peu la controverse existante », dit à l’Agence France-Presse (AFP) le paléobiologiste Doug Erwin, à l’Institut Smithsonian à Washington. Mais, dit-il, « c’est un bon papier ». « C’est la première fois que des marqueurs biologiques sont utilisés pour des fossiles de l’Ediacarien », note-t-il.
Une « renaissance » de la paléontologie
L’Ediacarien est la période (-635 à -542 millions d’années) précédant l’ère qui marque, selon les scientifiques, l’apparition rapide de tous les grands groupes d’animaux sur Terre : le fameux événement du Cambrien, relativement court d’un point de vue géologique, entre 30 et 40 millions d’années. C’est précisément pourquoi la confirmation que des animaux ont existé auparavant est si importante.
« Pendant longtemps, on s’est demandé si l’événement était réel, ou si nous n’avions pas réussi à trouver de fossiles plus vieux », dit à l’AFP David Gold, géobiologiste à l’Université de Californie-Davis, et l’un des auteurs de l’étude de 2015. « Cet article apporte une nouvelle très bonne preuve que les animaux sont beaucoup plus vieux que le Cambrien. » Les espèces du type Dickinsonia seraient donc « l’ancêtre de plusieurs formes de vie animales d’aujourd’hui », poursuit-il. Cela n’est pas encore vérifié, mais il suggère que les vers et les insectes puissent en descendre.
Les travaux publiés jeudi consacrent aussi une sorte de « renaissance » de la paléontologie, avec le recours à des outils qui permettent de retrouver des composés organiques vieux de centaines de millions d’années. Dans les bonnes conditions, les scientifiques peuvent désormais trouver des protéines ou des pigments pour identifier la couleur des dinosaures, dit David Gold. Ou, dans ce cas, du cholestérol, une molécule à base de carbone.
Prouver que Dickinsonia était animal ne marque pas la fin du mystère. On ignore encore comment il se nourrissait (sans bouche) ou se reproduisait. Surtout, des calculs statistiques sur l’ADN laissent penser que le règne animal remonte à 720 millions d’années. Il reste donc un fossé de quelque 160 millions d’années à combler, jusqu’à l’apparition de cette créature plate et ovale.