« Une grande fille ». / LIANA MUKHAMEDZYANOVA / NON-STOP PRODUCTION

Au creux de l’été, les sorties se font rares. La seule qui ait retenu notre attention vient de Russie, via Cannes. Pour équilibrer la puissance tragique de cette Grande Fille, il faudra donc se tourner vers les reprises, avec, cette semaine, les quatre films fantastiques, pervers et joueurs de Raoul Ruiz. Et si ce n’est pas assez, le premier long-métrage de Richard Kelly, sorti en 2001 – quand son enfant prodige d’auteur ne se doutait pas qu’il deviendrait l’un des artistes maudits du XXIe siècle hollywoodien – est toujours à l’affiche tout comme les chefs-d’œuvre de Mizoguchi.

« Une grande fille » : La tragédie du dégel

UNE GRANDE FILLE - Extrait 1 - VOST
Durée : 01:09

Par sa taille, par son mélange de beauté irradiante et de gaucherie, par son intensité, le second long-métrage de Kantemir Balagov ressemble à son personnage central, la grande fille du titre. Le jeune – 27 ans – cinéaste russe a visé très haut : mettre en scène une fresque historique tout en se tenant au format d’un portrait de femme.

Le moment qu’il veut évoquer vient juste après l’une des périodes les plus douloureuses de l’histoire de son pays – Une grande fille est situé à Léningrad, pendant l’hiver qui a suivi la victoire sur le nazisme, dans une ville décimée par la famine et les bombardements, dans un pays saigné à blanc, d’abord par les purges staliniennes puis par l’invasion.

La figure qui incarne cette somme de souffrances et la possibilité ou non de la surmonter est une très jeune femme, Iya (Viktoria Mirshnichenko), dont la taille, exceptionnelle pour son temps, masque la beauté aux yeux des autres. Elle est infirmière dans un hôpital et souffre de mystérieuses crises de tétanie.

Pendant la première moitié du film, Kantemir Balagov parvient à faire vivre la dialectique entre cette mise en scène ample (malgré la modestie des moyens matériels mis en œuvre) d’un tournant historique et le cheminement d’une femme, bientôt rejointe par une petite cohorte de survivants, mutilés dans leur chair et leur psyché.

Et si son propos se fait plus raide, plus didactique quand approche la conclusion de l’histoire d’Iya, le chemin qui y a mené est l’un des plus saisissant que le cinéma russe ait donné à parcourir ces derniers temps. Thomas Sotinel

« Une grande fille », film russe de Kantemir Balagov. Avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina, Timofey Glzakov, Andrey Bykov (2 h 17).

Quatre promenades dans les labyrinthes de Raoul Ruiz

Time Regained | Trailer | New Release
Durée : 01:37

Huit ans que Raoul Ruiz, cinéaste chilien exilé en France, nous a quittés et sa place manque cruellement à la table du cinéma d’auteur français.

Quatre des longs-métrages de cet infatigable filmeur (115 titres à sa filmographie) ressortent aujourd’hui. La légende urbaine et le fait divers y sont souvent l’étincelle nécessaire à une combustion lente du romanesque fantastique, soutenu par le tempérament bidouilleur et coloriste du cinéaste.

Trois vies et une seule mort (1995) met Marcello Mastroianni au cœur de trois récits extraordinaires et enchevêtrés formant une affolante variation sur le thème de la personnalité multiple. Généalogies d’un crime (1997) s’inspire de la sidérante histoire de la psychanalyste viennoise Hermine Helmut von Hug (Catherine Deneuve), assassinée par son neveu chez qui elle avait diagnostiqué dès 5 ans des tendances homicides.

Avec cela, on aurait pu penser que la rencontre avec Proust n’était pas fatale. Elle eut pourtant lieu dans Le Temps retrouvé (1999), pure folie où beaucoup avant lui se cassèrent les dents, mais où Ruiz sut tirer son épingle du jeu, simplement en continuant de jouer le sien.

A ces trois pièces de choix s’ajoute l’un de ses derniers films, peut-être le plus grand, Les Mystères de Lisbonne (2010), quatre heures trente de délices feuilletonesques adaptées d’un roman de Camilo Castelo Branco, romancier portugais du XIXe siècle. Jacques Mandelbaum

« Trois Vies et une seule mort » (2 h 03, 1995), « Généalogie d’un crime » (1 h 53, 1997), « Le Temps retrouvé » (2 h 49, 1998), Les « Mystères de Lisbonne » (4 h 36, 2010), films français de Raoul Ruiz.

« Donnie Darko » : le lapin de l’apocalypse.

Donnie Darko de Richard Kelly : bande-annonce
Durée : 01:39

Richard Kelly, cinéaste précoce et prometteur avait 26 ans quand il a terminé son premier long-métrage. Froidement accueilli lors de sa présentation à Sundance en janvier 2001, Donnie Darko eut la malchance de sortir aux Etats-Unis un mois après le 11 septembre de la même année, ce qui rendit inexploitable son récit s’ouvrant sur la chute d’un réacteur d’avion. Mais au fil du temps, le succès phénoménal du film en DVD a conféré à Donnie Darko le statut de film culte.

L’acteur américain Jake Gyllenhaal y tient le rôle-titre, celui d’un adolescent sombre et tourmenté convaincu de l’approche de l’apocalypse, qui a pour confident un être étrange à la silhouette de lapin carnassier. Donnie Darko apparaît aujourd’hui comme une synthèse tardive (égarée au début du XXIe siècle) du cinéma américain des années 1990, décennie marquée par un retour de paranoïa, entre des récits centrés sur le motif du complot et des images pétries de faux-semblants.

Le montage original du film ressort en même temps qu’une version « director’s cut » plus longue de vingt et une minutes, dispensable tant elle porte atteinte au mystère et, par moments, à la beauté plastique de ce film inoubliable. Mathieu Macheret

« Donnie Darko », film américain (2001) de Richard Kelly. Avec Jake Gyllenhaal, Jena Malone, Drew Barrymore, Mary McDonnell, Patrick Swayze (1 h 53).

La splendeur retrouvée de Mizoguchi

Bande-annonce de Rétrospective Kenji Mizoguchi en 8 films [Capricci]
Durée : 01:23

La ressortie simultanée en salle de huit films de l’un des plus grands artistes de l’histoire du cinéma, le maître japonais Kenji Mizoguchi (1898-1956), constitue un événement.

D’abord parce que ces œuvres appartiennent à la dernière et plus féconde période d’activité du cinéaste, celle des grands mélodrames définitifs des années 1950, depuis Miss Oyu (1951) jusqu’à La Rue de la honte (1956), en passant par Les Contes de la lune vague après la pluie (1953). Ensuite parce que ces merveilles ont longtemps circulé avec des copies de mauvaise qualité, qui avaient fini par rendre leur appréhension difficile. Les retrouver aujourd’hui dans les magnifiques restaurations mises à disposition par Capricci rend enfin justice à leur splendeur plastique comme à leur importance historique.

On reverra ou découvrira ces drames de l’histoire médiévale japonaise, dits jidai-geki, genre de prédilection du cinéaste (L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés), mais aussi des récits contemporains, se déroulant dans l’immédiat après-guerre (Les Musiciens de Gion, 1953), ou d’autres, intermédiaires, situés à la fin de l’ère Meiji, c’est-à-dire à la charnière entre les XIXe et XXe siècles (Miss Oyu, 1951).

La plupart ont néanmoins en commun d’évoquer la prostitution, thème majeur d’un Mizoguchi qui fréquentait assidûment les maisons de geishas et portait surtout au fond de lui le souvenir d’enfance, traumatique, d’un père conduit par la faillite à vendre l’une de ses sœurs à un tel établissement. Ma. Mt

Rétrospective Kenji Mizoguchi en huit films. En salles à Paris et en province depuis le 31 juillet.