Rugby : ces « impasses » dans lesquelles s’enfonce le Top 14
Rugby : ces « impasses » dans lesquelles s’enfonce le Top 14
Par Alexandre Pedro
La lourde défaite de Toulouse avec une équipe B à Montpellier vient rappeler que le rugby français souffre toujours de ses affiches bradées, estime notre journaliste Alexandre Pedro.
L’ailier de Montpellier Gabriel Ngambede file marquer un essai face à Toulouse, le 23 septembre. / SYLVAIN THOMAS / AFP
Chronique. Nom féminin en sept lettres : « impasse ». Dans le petit monde du rugby hexagonal, c’est le mot tabou. Malheur à celui qui ose le prononcer en présence d’un entraîneur de Top 14. Lui s’en sortira par une périphrase et, plutôt que d’admettre n’avoir pas réellement disputé un match, parlera d’« une équipe remaniée », du besoin de faire tourner son effectif, de donner du temps de jeu à sa jeunesse (française).
Le sujet n’est pas nouveau et on doute que le président de la Fédération, Bernard Laporte, ait l’occasion de l’évoquer avec Doc Gynéco et Agathe Auproux pour la prochaine émission de « Balance ton post ». Mais le Stade toulousain l’a remis au goût du jour dimanche 23 septembre à Montpellier, lors de la 5e journée du Top 14.
Deuxième du Top 14 avant la rencontre, le Stade a été pris la main dans le sac. Une défaite 66-15, dix essais encaissés sur la pelouse du vice-champion 2018, 14-00 au bout de six minutes pour le plus grand « plaisir » – on l’imagine – du diffuseur, Canal+, qui, tel un camelot sans marchandise, se retrouve dépourvu au moment de vendre son affiche du week-end.
A ce niveau-là, on ne parle plus d’impasse mais de boulevard périphérique. Au moment de l’addition, le co-entraîneur toulousain, Régis Sonnes, avait au moins le mérite de la franchise : « On assume totalement cette décision. Je n’ai pas de regret. »
Un mal au service de la tradition
Treize changements par rapport à la dernière journée, quatre bizuths, le manager Ugo Mola a envoyé sa bande de louveteaux sans torche ni goûter au milieu d’une forêt peuplée de golgoths sud-africains. C’est le métier qui rentre, paraît-il.
Consultant en plateau pour Canal+, Frédéric Michalak a rappelé, non sans malice, qu’il en avait « pris 80 » à Bourgoin en début de carrière. 82-19 le 17 mai 2003 pour rafraîchir la mémoire de l’ancien prodige du Stade.
Comme les piliers qui ne poussent pas droit en mêlée, les supporteurs de Perpignan sifflant le buteur adverse ou le pilou pilou à Toulon, l’impasse ferait donc partie du folklore du rugby français. Pas un club de Top 14 ne peut vous regarder dans le blanc des yeux et vous assurer : « Moi jamais. » Un mal au service de la tradition de notre championnat, en quelque sorte !
Quand le football a toujours sacré son lauréat au terme d’un contrôle continu, le rugby vit au rythme des saisons. L’automne et l’hiver ne sont qu’un préambule avant le printemps, ses odeurs de grillade au bord des stades et ses phases finales.
Un feuilleton qui ne tient pas la route
Ainsi Toulouse avait le droit de griller un joker dimanche après un bon début de saison, puisque l’important est de finir au mieux dans les deux premiers (pour accéder directement à la demi-finale) ou au pire dans les six pour passer par la case barrage. Après tout, le champion en titre, Castres, avait bien terminé la dernière saison régulière à la 6e place.
Perdus dans leurs petits calculs et leur gestion RH, les entraîneurs de Top 14 en oublient le téléspectateur, qui aurait aussi vite fait de résilier son abonnement et de regarder les phases finales depuis le bar des sports le plus proche.
Quand on se vend comme le « meilleur championnat du monde », il faut pourtant pouvoir assurer un feuilleton hebdomadaire avec des chocs, des rendez-vous incontournables à noter sur son calendrier tel un PSG-OM ou un Lyon-Saint-Etienne. Le Top 14 est incapable d’offrir cette garantie.
Au début des années 2000, Canal+ a bien tenté de monter la rivalité entre Toulouse et le Stade français comme le « clasico » du rugby français. Mais la sauce n’a jamais pris. La faute – un peu – à une baisse de régime des deux clubs, mais surtout à ces déplacements en espadrilles chez le rival donnant lieu à des parodies d’affiche.
Une prospérité pourtant due aux droits télé
Tout cela ne serait pas bien important, si le Top 14 ne devait pas aussi sa prospérité actuelle aux droits télés. Le 12 mai 2016, Canal, concurrencé par BeInSport, en conservait l’exclusivité de la diffusion pour les saisons 2019-2020 à 2022-2023 contre 97 millions d’euros annuels. A ce prix-là, le diffuseur peut en tenir rigueur quand on lui sert – parfois – de la sardine en boîte au prix du caviar.
« Les présidents de Top 14 ont bonne mine de réclamer des millions et des millions d’euros pour les droits télé et, ensuite, faire des impasses », se plaignait déjà, en 2015, Eric Bayle, le monsieur rugby de Canal dans un entretien au Figaro.
Le Top 14 est aussi dans l’impasse dans le récit que l’on en fait. A force de brader ses affiches, il finit par ne prêcher que ses convaincus, des supporteurs qui ont appris à composer avec ces farces, les repérer dès le lundi quand leur entraîneur avancera que « la saison est longue » et que leur équipe se déplacera à Clermont, Toulon ou Montpellier « pour se mesurer ».
Les autres – ceux qui n’ont pas jamais vu la couleur d’un Midi Olympique – continueront surtout à s’intéresser aux matchs du XV de France qui, lui, n’a pas besoin de faire l’impasse pour perdre ses matchs.