Pédophilie dans l’Eglise : « J’observe encore la tentation de minimiser »
Pédophilie dans l’Eglise : « J’observe encore la tentation de minimiser »
Propos recueillis par Faustine Vincent
Mgr Luc Crepy, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, fait le point sur les affaires qui concernent la France.
L’évêque Luc Crepy, lors de la messe de la Vierge noire, lors de la fête de l’Assomption, le 15 août 2016, au Puy-en-Velay. / PHILIPPE DESMAZES / AFP
De l’Irlande au Chili, en passant par l’Allemagne et les Etats-Unis, les scandales de pédophilie impliquant l’Eglise catholique s’enchaînent depuis quelques mois. Mgr Luc Crepy, évêque du diocèse du Puy-en-Velay (Haute-Loire), est le président la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, créée en 2016 par la Conférence des évêques de France après une série d’affaires. Lorsqu’il reçoit Le Monde à l’évêché, jeudi 13 septembre, deux nouveaux cas de prêtres soupçonnés d’actes pédophiles sont encore arrivés le matin même sur son bureau. Face à la « crise historique » qui secoue l’Eglise, le prélat fait le point sur les affaires en France et appelle à conduire un « gros travail de vérité et de purification ».
Comment réagissez-vous face à l’ampleur des scandales de pédophilie touchant l’Eglise à l’étranger ?
Je suis à la fois surpris, très triste et honteux. Je ne pensais pas que le phénomène était aussi important dans l’Eglise. Qu’il y ait quelques brebis galeuses, oui, mais là, ça émerge de partout ! C’est une crise historique, très grave et de grande ampleur que l’Eglise doit regarder en face. Un cancer ronge l’institution. Il faut en tirer les conséquences. De nouvelles histoires surgiront sans doute encore. Nous devons mener un gros travail de vérité et de purification, avec force et humilité.
Comment la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie conduit-elle ce travail ?
Nous avons mis en place des outils pour permettre aux victimes de parler. Une adresse Internet a été créée pour recueillir les témoignages et les signalements d’actes pédophiles [parolesdevictimes@cef.fr].
Des cellules locales d’écoute ont également été créées dans presque tous les diocèses, où près de cinquante journées de prévention ont été menées en deux ans, en partenariat avec les pouvoirs publics.
Tout l’enjeu consiste à rétablir la confiance avec les victimes, et à faire en sorte que l’Eglise devienne une maison sûre. Sur le terrain, beaucoup de prêtres font du bon boulot avec les jeunes, qu’ils font avancer dans leur réflexion, leur foi et les activités. Il faut pouvoir continuer à mener ce beau travail.
Combien de cas de pédophilie dans l’Eglise ont été rapportés en France ?
Les affaires sont nombreuses et sérieuses ici aussi. La Conférence des évêques de France effectue actuellement un nouveau recensement. Les résultats seront connus d’ici à la fin de l’année ou début 2019.
Le dernier, publié en janvier 2017, fait état de 137 actes pédocriminels signalés entre 2010 et 2016, et recense 222 témoignages de victimes. Parmi elles, certaines dévoilaient des faits anciens, pour lesquels les agresseurs étaient soit morts, soit poursuivis, soit n’avaient fait l’objet d’aucune plainte. La Cellule avait également recensé 9 clercs emprisonnés pour des violences sexuelles sur mineurs, 37 autres ayant exécuté leur peine, et 26 faisant l’objet d’une mise en examen.
Que se passe-t-il quand un acte pédophile est signalé ?
Les procédures sont claires : le prêtre rencontre le religieux concerné et fait un signalement au procureur de la République pour que la justice mène l’enquête. En attendant ses conclusions, des mesures canoniques sont prises pour prévenir tout danger : le prêtre est suspendu de ses activités auprès des jeunes et des enfants, voire de son ministère.
Une fois que la justice civile est passée et que le prêtre a purgé sa peine, l’évêque a l’obligation d’engager une procédure canonique – la justice interne de l’Eglise. Le plus souvent, le prêtre est interdit de retravailler avec les jeunes et les enfants. Il peut aussi être privé de toute activité publique, de toute responsabilité pastorale, voire renvoyé de l’état clérical. Il est alors privé de façon définitive de tout ce qui fait un prêtre, et n’a plus le droit de travailler comme tel.
En France comme ailleurs, les agissements pédophiles ont été étouffés par les autorités ecclésiastiques. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a plusieurs facteurs : le souci de sauver l’Eglise, un manque de conscience de la gravité des faits, et le problème du cléricalisme – lorsqu’un prêtre se sent tout-puissant. On ne peut que condamner cette attitude. Il faut en finir définitivement avec cela, car en cachant et en déplaçant des prêtres [pédophiles], on a perpétué ces crimes vis-à-vis des enfants.
Les évêques ne sont pas les seuls, malheureusement, à avoir entretenu l’omerta. Des communautés chrétiennes ont aussi protégé des prêtres : elles savaient, mais ne disaient rien.
Depuis deux ans, vous rencontrez régulièrement des victimes de pédophilie. Qu’avez-vous appris auprès d’elles ?
Beaucoup de choses. Je n’en avais jamais rencontré avant. J’ai d’abord appris à me taire et à les écouter. J’ai aussi pris conscience de la gravité du traumatisme. Il est double : il y a la blessure psychique, mais aussi la blessure spirituelle, moins connue. Celle-là, j’en suis responsable. Pour un enfant, le prêtre c’est la référence. Et quand cet homme, en qui il a toute confiance, abuse de lui, quelque chose s’effondre complètement. L’enfant est touché dans sa foi.
Le travail que vous menez pour lutter contre la pédophilie se heurte-t-il à des résistances au sein de l’Eglise ?
Oui. C’est une question très douloureuse, donc il faut permettre aux ecclésiastiques de comprendre ce qui est en jeu dans la pédophilie ; un sujet que beaucoup méconnaissent. Et quand il y a méconnaissance, il y a résistance. J’observe encore la tentation de minimiser le problème, y compris parmi les évêques, afin de défendre l’Eglise.
Il y a un gros travail à mener, difficile mais nécessaire. Cela passe par de nouvelles pratiques pastorales avec les enfants, en apportant une vigilance permanente. Changer les habitudes n’est pas si facile.