« J’utilise les “groupes puzzles” pour que mes élèves élaborent le cours tous ensemble »
« J’utilise les “groupes puzzles” pour que mes élèves élaborent le cours tous ensemble »
Jean-Pierre Costille, professeur d’histoire-géographie au lycée, présente un dispositif pédagogique qu’il a utilisé avec succès pour inciter ses élèves à s’investir et à collaborer.
Professeur d’histoire-géographie au lycée Jules-Haag, à Besançon (Doubs), Jean-Pierre Costille apprécie d’utiliser en classe outils numériques et dispositifs pédagogiques. Il raconte ici son expérience des « groupe puzzles ».
« Rendre les élèves acteurs de leur savoir : la phrase sonne comme une injonction, mais encore faut-il trouver des moyens d’en faire une réalité. J’utilise pour ma part ce que la littérature pédagogique appelle les “groupes puzzles”, ou Jigsaw. On constitue, ou laisse se constituer, des groupes de trois personnes. A chacun, je distribue des documents complémentaires sur un même thème. Ainsi, pour aborder la guerre froide en 1re générale, certains documents portent sur l’aspect idéologique, d’autres sur l’aspect militaire et d’autres encore sur les aspects sportifs et spatiaux du conflit. Je laisse les élèves se répartir le travail. Ensuite, chacun doit relever le maximum d’informations en rapport avec l’aspect qu’il a choisi, et les noter sur une fiche.
Après vingt minutes de travail autonome, je romps les groupes. Tous les élèves qui ont traité la partie “aspect militaire” se rassemblent dans un coin de la salle pour échanger sur ce qu’ils ont trouvé. On a donc trois nouveaux groupes, un sur chacun des aspects. Chaque élève note, sur un encart de sa fiche de travail, ce qu’il a appris de plus grâce à ces échanges. Après ce temps de cinq à dix minutes, les groupes initiaux se reforment. Chaque élève expose oralement aux deux autres son travail : il est en quelque sorte devenu “l’expert” pour le groupe. Je distribue ensuite une feuille de synthèse qui comprend les trois sous-parties du thème. Les élèves découpent le cadre qui les concerne, notent leur nom puis rédigent une synthèse. A l’issue de la rédaction, ils scotchent ensemble les trois parties, ce qui permet de créer un travail complet que je ramasse. Cet aspect un peu artisanal est apprécié.
Confiance en soi
S’il faut lister les avantages que je vois à un tel dispositif, ils sont nombreux et dans des domaines variés. Tout d’abord ces groupes ou îlots favorisent la discussion et la mise en commun. Je fais aussi le constat que tous les élèves travaillent car ils le font pour eux, mais aussi pour leur groupe. Comme ils sont placés en position d’“expert” de leur partie, il leur est difficile de n’avoir rien à expliquer à leurs camarades, qui n’ont pas matériellement le temps d’examiner les documents. Ensuite, j’apprécie que cet aspect émulation soit tempéré, pour ne pas verser dans la compétition.
Le but est bien de développer la coopération entre les élèves. On apprend mieux et on fait davantage à plusieurs. Cette méthode permet de voir son travail conforté et validé par ses “pairs”, comme dit la littérature pédagogique, et aider peut donner confiance en soi à certains. De même, des élèves qui n’avaient pas trouvé beaucoup d’éléments au début reviennent dans leur groupe initial avec des idées nouvelles qu’ils doivent présenter et expliquer. Enfin, cela permet d’éviter que le travail soit monopolisé par quelques élèves qui peuvent avoir tendance à vouloir tout régenter lors des travaux de groupe. Chacun doit faire confiance aux autres pièces du puzzle.
Cette organisation permet aussi de rompre l’immobilisme physique des élèves dans la salle. Je leur laisse toute latitude pour se réinstaller à une table, ou à même le sol : qu’importe ! Lorsqu’ils doivent restituer leur travail, les élèves pratiquent l’oral, chose finalement assez rare en histoire-géographie au lycée. Ce dispositif permet également de faire écrire les élèves de façon autonome.
Travail d’argumentation
En matière de gestion de classe, ce dispositif permet d’alterner des moments de calme absolu et d’autres forcément plus bruyants de discussion. On peut aussi noter que ce procédé de travail n’est pas plus consommateur de temps : l’activité sur la guerre froide a duré une heure, après une première heure pour introduire le chapitre et parler de Berlin, et avant une autre heure pour la relecture et la conclusion (en série S). Selon le niveau de classe, on peut proposer une liste de termes et de mots-clés à utiliser dans le texte collaboratif final. Les élèves, à l’intérieur de leur groupe, doivent justifier auprès de leur camarade de leur souhait d’utiliser tel ou tel mot, ce qui permet de travailler également l’argumentation. S’il reste un terme que personne ne s’est approprié, la discussion se poursuit pour savoir qui l’utilisera finalement.
Et le professeur, dans tout cela ? Je m’efface à plusieurs moments dans la séance. La partie échange se fait d’autant plus librement que je n’interviens pas, ou alors uniquement à la demande des élèves. Je parle moins et ma parole n’en a que plus de valeur. Après le cours, je relis tout et sélectionne de bons passages pour concevoir la trace finale du cours. Je la distribue à la séance suivante en insistant bien sur le fait que ce qu’ils lisent n’a été réalisé qu’à partir de ce qu’ils ont écrit. On prend le temps de lire cette trace commune et d’examiner un document représentatif par sous-partie. Je tiens à leur disposition une version avec d’autres extraits tout aussi convaincants.
A l’usage, je me suis aperçu que je devais prévoir plus de place dans la fiche de travail : les élèves étaient obligés d’écrire recto verso tant ils avaient à dire ! Leur travail est donc pleinement utile à l’avancée du cours, même s’il m’arrive de reprendre la main, pour lever une incompréhension ou insister sur les documents les plus utiles. Précisons également que si cette méthode doit être expliquée la première fois – avec une image par exemple –, son appropriation est immédiate. Utilisables dans de nombreuses matières, pour peu que le sujet se prête à une décomposition en sous-parties, et à tous les âges, ces “groupes puzzles” se révèlent particulièrement intéressants pour impliquer les élèves. »
Jean-Pierre Costille avait expliqué, dans un témoignage précédent, comment les outils numériques lui permettent de mesurer régulièrement les progrès ou les difficultés de ses élèves.