« L’Assemblée générale permet de rappeler, symboliquement, que l’ONU existe »
« L’Assemblée générale permet de rappeler, symboliquement, que l’ONU existe »
Marc Semo, journaliste au « Monde » chargé de la diplomatie, a répondu à toutes vos questions sur la portée réelle de ce rassemblement diplomatique.
Le président iranien Hassan Rohani, le 25 septembre à New York. / TIMOTHY A. CLARY / AFP
La 73e session de l’Assemblée générale de l’ONU se poursuit avec les discours des chefs d’Etat et de gouvernement, à New York. Face à Donald Trump, qui a dénoncé le « globalisme », Emmanuel Macron a mis en garde contre la « loi du plus fort ». Le président américain fait face à un front uni entre l’Europe, la Russie et la Chine, prêtes à défendre l’accord sur le nucléaire iranien de 2015
Marc Semo, journaliste au « Monde » chargé de la diplomatie, a répondu à vos questions et décrypté ce qu’il s’est passé depuis une semaine.
Baptiste : Comment les médias étrangers ont-ils interprété le discours d’Emmanuel Macron ?
Marc Semo : Cela a été apprécié et en premier lieu dans les pays du sud ou les pays tels le Canada, l’Australie, l’Inde ou encore les Scandinaves, tous ces piliers de l’action onusienne, car sur le fond, le discours d’Emmanuel Macron, comme le soulignait ironiquement un diplomate, était le discours d’un secrétaire général de l’ONU. Et en ouvrant les travaux de la 73e Assemblée générale, Antonio Guterres avait peu ou prou évoqué les mêmes thèmes, sans y mettre néanmoins autant de passion.
Lecteur : Quelle a été la tonalité du discours du représentant iranien à l’ONU ? Téhéran peut-il encore compter sur des alliés prêts à se « mouiller » pour lui ?
M.Se. : Rohani est dans une situation difficile, car il est aussi sous la pression des plus « durs » de la République islamique comme les gardiens de la révolution. Quitter à son tour l’accord de juillet 2015 et reprendre l’enrichissement serait suicidaire pour Téhéran, car automatiquement se remettrait en place tout le système de sanctions – et pas seulement celles des Etats-Unis – car nul ne veut d’un Iran nucléaire. Mais rester dans l’accord est aussi difficile, car au-delà des bonnes intentions, on voit mal comme les Européens, même avec l’aide des Russes et des Chinois, peuvent suppléer aux pressions maximales américaines. D’où le pari de Washington, qui n’est peut-être pas faux, qu’à un moment ou un autre l’Iran sera prêt à négocier à nouveau, et c’est d’ailleurs le pari de Macron, qui veut compléter l’accord de 2015 avec trois piliers encadrant l’activité balistique, de nouvelles mesures pour après 2025 sur le nucléaire quand l’accord de Vienne arrive à expiration et bloquer l’expansionnisme régional iranien.
PhilippeS : Est-ce que Macron est considéré comme un « type sans importance » dans la cour des grands ?
M.Se. : En France, sa popularité plonge, à l’extérieur, il garde une bonne partie de son image, au moins pour le moment. Ses discours sont incontestablement très forts, comme l’étaient d’ailleurs ceux d’Obama, mais le risque est le même : que cela reste des mots. Et l’on voit par exemple toutes les difficultés aujourd’hui pour la France de lancer des vraies initiatives à l’ONU. Sans les Américains « trumpisés » et sans les Britanniques en plein Brexit, Paris ne pas faire grand-chose, car c’est bien ce « P3 » (Etats-Unis, France et Royaume-Uni), comme on l’appelle dans le jargon diplomatique, qui depuis 1945 a fait tourner le système international créé après 1945.
Tom : Y a-t-il encore des blocs à l’ONU ?
M.Se. : Oui, bien sûr, même si ces alliances sont beaucoup plus mouvantes qu’avant. Chacun des « grands » a ses alliés et ses clients, à commencer par la Russie et la Chine, piliers par ailleurs d’un groupe de Shanghai, qui se veut un rival asiatique de l’Union européenne. Il y a les pays musulmans qui, sur certaines questions, font toujours bloc. Il y a malgré tout un ensemble européen qui parle peu ou prou d’une même voix et coordonne ses actions.
Curieux : Nétanyahou met au défi l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de contrôler des structures iraniennes liées à un programme nucléaire. Mais ces contrôles ne sont-ils pas un des termes de l’accord de 2015 ? Et si oui, Israël peut-il demander l’application des termes restrictifs d’un accord qu’il dénonce ?
M.Se. : De fait, c’est cela que veut montrer Nétanyahou : les limites des contrôles de l’AIEA. Mais nombre d’experts semblent un peu sceptiques sur la réalité des accusations israéliennes, qui en revanche sont prises très au sérieux sur la fabrication par le Hezbollah libanais, avec l’aide de Téhéran, de missiles sophistiqués.
? : Quelle importance (en proportion par rapport aux autres sujets) ont eu les discussions environnementales et climatiques durant cette session ?
M.Se. : A l’Assemblée générale elle-même, c’était un thème évoqué dans la plupart des interventions, mais sans plus. En revanche, il y a nombre d’événements annexes sur le sujet, dont par exemple le « One Planet Summit ». Et ils ont d’autant mieux marché qu’ils n’engagent à rien.
Florent : Depuis la France, on a le sentiment que Macron est « le représentant du monde libre », tel que les Etats-Unis l’incarnaient auparavant. Est-ce réellement le cas ?
M.Se. : En partie oui, même si dans la pensée macronienne, c’est l’Europe, une Europe qui doit prendre conscience de sa puissance, qui serait à même de jouer pleinement ce rôle à un moment de grand repli américain.
paul : La solution proposée concernant les marchés avec l’Iran pour les investisseurs étrangers, en mettant en place une plate-forme, est-elle viable, avec l’attitude des Etats-Unis et leur politique qui prône son exclusion ? Y a-t-il une vraie garantie que ces sociétés ne soient pas pénalisées et « blacklistées » par les Etats-Unis ?
M.Se. : Aucune, et c’est bien ça le problème. Car même si un mécanisme permettait aux sociétés européennes de commercer avec l’Iran sans tomber sous les foudres de la justice américaine, Washington peut très bien, de fait, établir des « listes noires », et d’ailleurs Trump a clairement dit au Conseil de sécurité que les pays ou les sociétés qui continueraient les affaires avec Téhéran malgré les sanctions américaines « subiraient de très lourdes conséquences ». Aucune grande société, si elle a à choisir entre le marché américain et le marché iranien, n’hésitera une seconde.
goun : Je suis élève en 1re ES et j’aimerais savoir quel est le but de cette Assemblée générale…
M.Se. : Bonne question. Rappeler que l’ONU existe. C’est surtout symbolique, mais en diplomatie, comme d’ailleurs en politique, le symbole et le magistère de la parole sont importants.
Lectrice : On a beaucoup parlé Iran, Corée du Nord et prolifération. Mais les vrais sujets n’étaient-ils pas la Syrie, le Yémen, la Birmanie ? Quid de ces sujets dans le discours d’Emmanuel Macron ? N’est-ce pas la preuve criante d’une diplomatie en panne ?
M.Se. : Ce sont de vrais sujets effectivement, mais pas plus que l’Iran ou la Corée du Nord. La Syrie a été beaucoup évoquée, aussi bien à la tribune que lors de la réunion du Conseil de sécurité sur la non-prolifération, dont celle des armes chimiques. Il y a eu des réunions sur la Birmanie. Le grand absent, qui n’a été évoqué qu’en creux, est effectivement le Yémen, parce que ni les Américains, ni les Britanniques, qui sont à la manœuvre, ni l’Arabie saoudite, maître d’œuvre de la guerre contre les houthistes soutenus par Téhéran, ne souhaitent que l’on mette trop les projecteurs sur ce qui aujourd’hui – avec la Syrie – la pire tragédie humanitaire.