« Ma thèse en 180 secondes », dix-huit pays représentés, une même passion
« Ma thèse en 180 secondes », dix-huit pays représentés, une même passion
Par Ingrid Seithumer
La finale internationale de « Ma thèse en 180 secondes », qui s’est déroulée jeudi à Lausanne, en Suisse, a montré l’engagement de doctorants venus de dix-huit pays francophones, malgré des situations et des perspectives très diverses.
Les participants de la finale internationale de Ma thèse en 180 secondes, jeudi 27 septembre à Lausanne. / Ingrid Seithumer
La salle Amphimax de l’université de Lausanne (Suisse) était comble, jeudi soir 27 septembre, pour la finale internationale de « Ma thèse en 180 secondes ». Des curieux, de la famille, des amis, des collègues…, près de 650 personnes s’étaient inscrites — gratuitement — pour assister à la cinquième édition de ce concours de vulgarisation scientifique et écouter des doctorants francophones raconter en trois minutes, top chrono, leurs travaux de recherche.
Chacun des dix-huit pays participants — contre quinze un an plus tôt — était représenté par un doctorant : Madagascar, Cameroun, Belgique, Tunisie, Bulgarie, Suisse, Roumanie, Gabon, Maroc, Burkina Faso, Canada (Québec), Egypte, République démocratique du Congo, France, Liban, Bénin, Côte d’Ivoire et Sénégal. « Il est important d’élargir ce concours vers les pays du Sud », explique Syma Mati, de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), partenaire pour la quatrième année d’affilée. L’AUF a ainsi coorganisé treize des dix-huit finales nationales, en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe centrale et orientale.
La soirée a permis de révéler à un public non initié la richesse des domaines de recherche sur plusieurs continents. Une diversité qui se retrouve dans le palmarès. Le jury, composé de représentants du monde universitaire et de journalistes, présidé par Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Confédération suisse, a en effet attribué le premier prix à Geneviève Zabré, du Burkina Faso, pour sa thèse, intitulée : « Utilisation des plantes médicinales dans la lutte contre le méthane émis par les ruminants : cas des ovins. » Un doublé, deuxième prix du jury et prix du public, est allé au français Philippe Le Bouteiller pour son « approche eulérienne de Hamilton-Jacobi par une méthode Galerkin discontinue en milieu hétérogène anisotrope. Application à l’imagerie sismique », ou plus simplement : comment faire pour voir, à l’intérieur de la Terre, le fabuleux voyage des ondes sismiques. Et le troisième prix du jury a récompensé la roumaine Veronica-Diana Hagi pour : « La biographie linguistique, un outil didactique polyvalent. »
Un autre prix aurait pu être décerné à Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie 2017 et professeur honoraire de l’université de Lausanne. Jouant le jeu de « Ma thèse en 180 secondes », il a clos les présentations en revenant, dans le temps imparti, sur ses travaux récompensés par l’Académie royale des sciences de Suède. « C’est bien de s’efforcer de parler bien, de dominer ce que l’on a à dire », analyse le chimiste, pour qui ce concours s’apparente à un sas de décompression pour jeunes chercheurs. Certains participants avaient d’ailleurs été accompagnés, coachés par des spécialistes de la communication. « Il est très important pour la suite de savoir s’exprimer. Moi-même j’étais très mauvaise à mes débuts », a souligné, avec humour, Micheline Calmin-Rey.
Un financement difficile à trouver
Ce qui dominait, durant l’événement et lors de la petite semaine de préparation qui l’a précédé à Lausanne, c’était la passion des doctorants finalistes pour leur sujet d’étude, et ce, malgré des situations, et des perspectives d’emploi, très différentes selon leur pays d’origine.
Si beaucoup de candidats se sont engagés dans une thèse en trois ou quatre ans — durée minimale fixée dans la plupart des pays —, il n’est pas rare qu’ils la prolongent, surtout quand ils occupent un emploi en parallèle.
Plusieurs participants racontent les bourses de thèse insuffisantes pour vivre, les vacations d’enseignement assurées à l’université parallèlement à leurs travaux de recherche. « Le principal problème est le financement par les laboratoires de recherche. Mes financements sont étrangers », explique ainsi le Malgache Mahery Andriamanantena, qui travaille sur la valorisation de la diversité des ressources végétales tinctoriales pour une application industrielle. « C’est compliqué de trouver des fonds, mais plus facile pour des femmes », avance de son côté la Gabonaise Christy Achtone Nkollo-Kema Kema, qui bénéficie d’une bourse de l’Agence nationale des parcs nationaux et d’aides du Fonds mondial pour la nature (WWF) pour ses travaux sur la conservation des lamantins.
Le doctorant belge Martin Delguste s’estime de son côté « chanceux » : il bénéficie d’un financement du fonds national de recherche scientifique, touche plus de 1 900 euros net et peut déjà envisager de poursuivre ses recherches sur le virus de l’herpès en post-doc. Le Français Philippe Le Bouteiller, qui peut mener à temps plein sa thèse grâce au financement sur trois ans par un consortium d’industriels internationaux (Seiscope), précise qu’« il n’y a pas beaucoup de financements de ce type en France ».
En Suisse, un doctorant sur dix reste dans le milieu universitaire
Que se passera-t-il pour ces doctorants une fois leur titre en poche ? Du rêve, des espoirs, des incertitudes, un rôle universitaire peut-être ou un poste dans le secteur privé.
« Après ma thèse, j’ai un rêve à réaliser : partager mon savoir à un public plus large, permettre l’expansion de la langue française en Egypte », dit avec passion Hanan Hosny Abdel Rzek. Professeure de littérature et d’art dramatique au lycée français d’Alexandrie, elle consacre sa thèse au poète et écrivain Jean Tardieu. D’autres se préparent à un probable départ : « Souvent, les docteurs en Tunisie vont chercher du travail à l’étranger », constate le Tunisien Mohamed Aymen Ben Ouanes, qui travaille sur des dispositifs de microsystèmes électromécaniques et bénéficie d’une cotutelle de thèse avec l’université Paris-Est. « A Madagascar, les entreprises n’emploient pas les docteurs », dit Mahery Andriamanantena, tandis qu’en Belgique, beaucoup d’entreprises actives par exemple dans le secteur biomédical, cherchent des docteurs pour la recherche et le développement.
Pour la Canadienne Sarah Lafontaine, spécialiste des sciences infirmières et très désireuse d’enseigner, l’horizon semble assez clair. « Il est difficile d’être professeur mais dans mon domaine, beaucoup de professeurs partent en retraite », explique-t-elle. En France, comme dans la plupart des pays, les places dans la recherche universitaire sont rares. « On est conscient de cela dès le début de notre thèse », dit Philippe Le Bouteiller. Les écoles doctorales réfléchissent à la meilleure façon d’aider les jeunes à rejoindre le secteur privé. Et de concurrencer, au mieux, les diplômés des grandes écoles.
« En Suisse, un doctorant sur dix va rester dans le milieu académique », note Denis Billotte, secrétaire général de la Conférence universitaire de Suisse occidentale, qui finance et coordonne des activités doctorales et a coorganisé la finale de « Ma thèse en 180 secondes » avec l’université de Lausanne. Dans ce pays, où la formation professionnelle reste très valorisée par les entreprises, « nous devons renforcer la confiance dans les compétences développées par les docteurs », poursuit-il. De fait, le doctorat permet, selon lui, d’acquérir des compétences qualifiantes pour de nombreuses fonctions : conduire des projets, affronter des échecs répétés sur la durée et trouver des solutions, communiquer, inventer de nouvelles questions. Autant d’atouts qui doivent être mieux mis en avant.