A la tête de WIA, Hafsat Abiola veut créer « un monde nouveau » pour les femmes africaines
A la tête de WIA, Hafsat Abiola veut créer « un monde nouveau » pour les femmes africaines
Par Maryline Baumard (Marrakech, envoyée spéciale)
Soutenir et faire rayonner les jeunes entrepreneuses du continent, c’est l’ambition de la Nigériane, diplômée de Harvard, qui a succédé en juin à Aude de Thuin.
Depuis juin, Hafsat Abiola est à la tête du Women in Africa. / RÉMI SCHAPMAN
Elle est de ces oratrices qui tissent d’instinct un fil avec son auditoire. A la tribune du Women in Africa (WIA), les 27 et 28 septembre à Marrakech, Hafsat Abiola a littéralement envoûté son public. A chacune de ses interventions, sa voix de miel commençait par faire tendre l’oreille à la salle, puis la finesse de son propos accrochait l’attention avant que la nouvelle présidente du WIA ne referme ce cercle des mots pour hypnotiser son auditeur. Hafsat Abiola, la diplômée de Harvard, joue sur toutes les formes d’intelligence, mêlant la douceur et l’empathie à l’exigence intellectuelle.
Depuis juin, cette militante nigériane des droits humains a pris la tête de la WIA, première plate-forme digitale de développement économique et d’accompagnement des femmes africaines leaders et à haut potentiel. Cette initiative, qui parie sur les femmes africaines pour faire décoller le continent, tenait là son deuxième forum à Marrakech.
L’Afrique pour l’Afrique
En prenant le relais de la femme d’affaires Aude de Thuin, qui a fondé le WIA et le présidait jusqu’alors, Hafsat Abiola endosse la mission de faire grandir l’initiative et de l’installer dans le temps. Pour cela, toutes deux vont engager ensemble « un tour du monde des financeurs et des femmes ». Il s’agit de trouver des partenaires prêts à parier sur les femmes du continent et d’en « rencontrer d’autres pour créer des réseaux, les mettre en lien et empêcher que les plus fragiles ne lâchent, se sentant trop seules », rappelle Hafsat Abiola.
Déjà, après deux saisons, se dessine une frontière entre l’Afrique anglophone et la francophone. Dans la première, la gent féminine a une longueur d’avance en termes de créations d’entreprises, un sujet qui inquiète le WIA. « Nous devons juger sur les mêmes critères les entreprises à aider sur le continent. Pourtant, les besoins ne sont pas identiques, observe Aude de Thuin. A nous donc d’inventer une manière de s’adapter à chaque région en restant justes. »
Même si les temps ont changé, Aude de Thuin garde en tête le modèle du Women’s Forum qu’elle a créé ex nihilo en 2005 et hissé en deux ans parmi les cinq forums les plus influents dans le monde, selon le Financial Times. Une success story qui n’est plus la sienne puisqu’elle a revendu l’événement, mais qui pourrait servir de matrice à son nouveau rêve.
L’entrepreneuse, qui toute sa vie a su tourner la page pour écrire d’autres histoires, a simplement changé de continent, consciente que le XXIe siècle sera africain ou ne sera pas, pour parodier une phrase célèbre. Et si elle passe le flambeau aujourd’hui, Aude de Thuin promet d’accompagner sa successeure « le temps nécessaire » pour asseoir le WIA comme une initiative de l’Afrique pour l’Afrique. Pour l’heure, il lui a violemment été reproché d’être la « femme blanche » qui pense pour le continent. Un classique.
« Prendre sa place sans s’excuser »
Durant l’année qui démarre avec la clôture du forum de Marrakech, les deux femmes vont donc conjuguer leurs énergies pour faire avancer la cause. Si Aude de Thuin connaît parfaitement les arcanes économiques, la Nigériane Hafsat Abiola a derrière elle un long passé de défense des droits humains dans son pays.
Fille de Moshood Abiola, qui aurait dû prendre la tête du pays en 1993 s’il n’avait été jeté en prison – où il est mort peu après –, et de Kudirat, assassinée lors d’une manifestation pour faire libérer son époux, Hafsat Abiola a de beaux combats à son actif. On lui doit la création de la Kudirat Initiative for Democracy (KIND), une organisation créée en mémoire de sa mère destinée à renforcer la société civile et à promouvoir la démocratie au Nigeria.
Même si elle se partage aujourd’hui entre son pays d’origine et la Belgique, elle reste très en prise avec les réalités que vivent les femmes africaines, répétant volontiers que « la meilleure manière de changer le monde n’est pas de s’attaquer à l’ancien mais d’en créer un nouveau ».
Pour elle, « le cœur de l’action réside dans l’entraide, pour que les femmes osent enfin prendre leur place sans s’excuser ». Des outils numériques, des rendez-vous pluriannuels doivent permettre de mettre sur pied un cercle de femmes entrepreneuses déjà établies prêtes à les épauler. Car, pour l’heure encore, comme le rappelle Aude de Thuin sur son compte Twitter, en citant un proverbe africain : « Les poules savent quand le jour se lève, mais elles laissent aux coqs le soin de l’annoncer. »