Le président sortant de General Electric (GE), John Flannery, à New York, le 26 juin. / Reuters Staff / REUTERS

Nouveau soubresaut chez General Electric (GE) : l’entreprise fondée par Thomas Edison en 1889 a limogé, lundi 1er octobre, son président, John Flannery, quatorze mois après son arrivée aux commandes, et nommé pour la première fois une personnalité extérieure, Larry Culp, âgé de 55 ans. Surtout, elle a annoncé une provision exceptionnelle de 23 milliards de dollars (20 milliards d’euros) sur ses écarts d’acquisition dans son cœur de métier, l’énergie, aveu à peine déguisé de l’échec que représente l’acquisition du groupe français Alstom, en 2015. Des précisions seront apportées lors des résultats trimestriels de l’entreprise.

Ce coup de théâtre s’explique par l’incapacité de John Flannery à démanteler rapidement le conglomérat américain, qui était, au tournant du siècle, la première capitalisation boursière mondiale, après avoir été dirigé d’une main de fer, entre 1981 et 2001, par Jack Welch. Celui-ci avait pour tactique de sabrer dans les coûts et de restructurer radicalement les activités. Il s’était engagé dans une politique financière en créant GE Capital. L’entreprise, qui valait 600 milliards de dollars en l’an 2000, n’en vaut plus désormais que 100.

La descente aux enfers a commencé sous le règne de Jeffrey Immelt, qui a multiplié les erreurs. Lorsque la crise financière a éclaté, GE a failli sombrer avec GE Capital. L’entreprise a alors amorcé un désengagement, misant sur le fait que son développement industriel lui permettrait de conserver le même niveau de cash-flow (flux de trésorerie) et de dividendes. Il n’en a rien été.

L’erreur stratégique majeure a été le rachat d’Alstom en 2015, pour 12 milliards d’euros

Sur le plan industriel, M. Immelt a embauché des dizaines de milliers de programmeurs pour développer les logiciels des produits qu’il fabriquait. Les résultats ont été au rendez-vous dans deux secteurs-clés, les moteurs d’avion et l’équipement médical. Mais c’est sur le cœur de métier de l’entreprise, les turbines électriques, que les choses se sont gâtées.

L’erreur stratégique majeure a été le rachat d’Alstom en 2015, pour 12 milliards d’euros, alors que le marché du gaz était au plus haut. La réalisation de l’acquisition a été ralentie par les autorités de la concurrence et les exigences françaises. « Quand l’Union européenne a retardé l’accord, GE aurait dû abandonner l’affaire. Mais l’erreur fatale a été commise après », accuse Scott Davis, analyste chez Melius Research, cité par le Wall Street Journal (WSJ) : selon lui, une fois l’accord conclu, au lieu d’augmenter les prix, GE a décidé de se lancer dans une guerre commerciale contre Siemens pour lui ravir des parts de marché.

Série noire

Le marché des turbines à gaz est resté mauvais, avec une concurrence persistante du charbon et l’émergence des renouvelables. Pendant des années, les dirigeants de GE ont nié la réalité, tel Jeffrey Immelt, qui déclarait, en mai 2017, à propos de General Electric : « C’est une entreprise forte, très forte », et déplorait « une déconnexion » avec le marché boursier.

Pour le WSJ, il y avait bien déconnexion, mais pas dans le sens attendu : un an plus tard, l’action valait deux fois moins. Sous la pression du fonds activiste Trian Fund Management, l’entreprise s’est affaiblie en multipliant les rachats d’actions, à hauteur de 30 milliards sur trois ans jusqu’en 2017, au prix moyen de 30 dollars. Un investissement désastreux (l’action vaut aujourd’hui 12 dollars), qui a privé l’entreprise du cash nécessaire.

Jeffrey Immelt a été poussé vers la sortie en août 2017, mais la série noire s’est poursuivie sous la direction de John Flannery. Certes, des décisions draconiennes ont rapidement été prises : division par deux du dividende (ce qui n’était arrivé qu’une fois depuis la grande dépression de 1929) ; réduction du conseil d’administration de 18 à 12 membres avec un fort renouvellement ; décision de vendre les 62,5 % détenus dans l’entreprise de services pétroliers Baker Hughes (37 milliards de dollars de capitalisation), ainsi que les locomotives, pour 11 milliards de dollars, et d’introduire en Bourse les activités médicales, pour se concentrer sur deux secteurs – l’énergie et les moteurs d’avion.

Mais la litanie des mauvaises nouvelles n’a pas cessé : trou de 15 milliards dans ses anciennes activités d’assurance et humiliation à Wall Street avec l’éviction, en juin 2018, du titre de l’indice Dow Jones après plus de cent ans de présence. Sans parler du retour des problèmes dans l’énergie, avec moins d’accords de maintenance de turbines que prévu et surtout l’arrêt en catastrophe de nouvelles turbines frappées d’un défaut de construction.

Le conseil d’administration a perdu patience, avec un cours de Bourse divisé par deux en un an. Il a jugé que M. Flannery ne mettait pas en œuvre avec assez de célérité et de force le plan de démantèlement. Il a contacté le nouvel administrateur indépendant, Larry Culp, qui, de 2000 à 2014, a réussi à multiplier par cinq la valeur de Danaher, le conglomérat qu’il dirigeait, alors que la Bourse ne faisait que doubler. Wall Street s’est remise à rêver, provoquant l’envolée du titre GE de 7 %. Mais, en l’absence de conférence de presse et de présentation aux analystes, d’aucuns redoutent des mauvaises surprises.

Les chiffres

14

C’est le nombre de mois que le président sortant de GE, John Flannery, aura ­passés à la tête de l’entreprise, contre 16 ans pour Jeffrey Immelt (2001-2017) et 20 ans pour Jack Welch (1981-2001).

23 milliards

C’est, en dollars (20 milliards d’euros), le montant des ­dépréciations que va enregistrer GE dans ses comptes au troisième trimestre. Une somme vraisemblablement liée, en partie, à ­l’acquisition à contretemps d’Alstom.

5

C’est la multiplication du cours de Bourse du conglomérat ­Danaher entre 2000 et 2014, ­période pendant laquelle Larry Culp, le nouveau patron de GE, l’a dirigé.