Egon Schiele, « Autoportrait debout avec un gilet au motif paon », 1911. / Collection Ernst Ploil, Vienne

Egon Schiele, alors âgé de 22 ans, fut condamné et emprisonné du 13 avril au 7 mai 1912 à Neulengbach (Autriche). Il était accusé de détournement de mineurs, de viol et d’immoralité publique. Ne trouvant aucune preuve des deux premiers chefs d’inculpation, le juge l’expédia derrière les barreaux pour le troisième en se basant sur des pièces irréfutables : ses dessins. La police les avait saisis dans son atelier, le juge en brûla un publiquement durant l’audience, les 124 autres ne furent jamais retrouvés.

« Schiele est un observateur implacable, commente Suzanne Pagé, la directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton, il observe l’homme, et c’est quoi, l’homme ? D’abord un sexe, qu’il étudie frontalement, ce que la société de son temps permet peu… » Même certains de ses pairs, un artiste comme Oskar Kokoschka par exemple, le regardaient en plissant le nez ; ce dernier le considérait comme un « petit voyou, un pornographe ! » Un avocat d’aujourd’hui lui trouverait sans doute des circonstances atténuantes.

Les nus, le désir, et la mort

L’Autriche elle-même, le pays où il est né en 1890, était le centre d’un empire finissant, aux mœurs sévères. Son père exerce la profession de chef de gare à Tulln an der Donau et rêve de voir son fils devenir ingénieur des chemins de fer. Il semblerait qu’il ait été légèrement dément, au sens clinique du terme. Il meurt en 1905, Schiele a 15 ans. Il a deux sœurs, dont l’une, Elvira, décède quand il a 3 ans. On s’étonne déjà moins de la présence du thème de la mort dans nombre de ses œuvres. Avec son corollaire, la vie, et spécialement les parties du corps qui la transmettent. D’où l’abondance de nus.

Même quand elles sont habillées, les femmes laissent entrevoir ce qu’au XIXe siècle on appelait pudiquement leur « mystère », qu’au Moyen Age on nommait plus simplement la « nature ». Même les paysages – et il en a fait beaucoup – sont dépouillés, les arbres effeuillés par l’automne pour mieux laisser apparaître leur structure.

Quand il s’attaque aux sujets de société, l’Eglise par exemple, Egon Schiele va là où ça fait mal.

Quand il s’attaque aux sujets de société, l’Eglise par exemple, il va là où ça fait mal. L’un de ses tableaux les plus outrageants, hélas absent de l’exposition, intitulé Le Cardinal et la nonne, montre un prélat à genoux devant une moniale dans une posture qui n’évoque guère celle de la confession.

En 1906, un an après que la mort de son père l’eut dégagé de la perspective d’une carrière dans les chemins de fer, il entre à l’école des Beaux-Arts de Vienne, où il reçoit un enseignement des plus académiques, qui l’exaspère. La libération vient de la visite de la deuxième exposition de la Sécession viennoise, dominée par la personnalité de Gustav Klimt, alors âgé de 45 ans.

Une amitié et une admiration réciproque avec Klimt

Entre les deux peintres, le jeune et le vieux, naissent une amitié et une admiration réciproque. Un temps, assez court, Schiele va user des courbes et des volutes de ce mouvement proche de l’Art nouveau, le Jugendstil. Mais Schiele est assez loin des représentations de jeunes filles en fleurs. Il rencontre en 1911 une jeune femme qui a souvent posé pour Klimt, Walburga Neuzil, dite « Wally », avec laquelle il emménage : elle va être son modèle, sa compagne, sa complice diraient les autorités judiciaires… Elle sera en tout cas son plus ferme soutien tant lors de son émancipation vis-à-vis du style de Klimt que lors de son séjour en prison.

Schiele ne peint pas des sexes, mais la condition humaine, et c’est bien ce qui pouvait le rendre insupportable à ses contemporains.

Schiele produit alors des œuvres qui n’ont d’équivalent que dans le Christ mort d’Hans Holbein : les modèles prennent des poses de gisants, ou au contraire d’épileptiques, ces derniers spécialement inspirés par son intérêt pour les mimes. Pour les premiers, on a le sentiment de voir derrière le vivant le cadavre qu’un jour il sera. C’est là où Schiele est le plus grand : il ne peint pas des sexes, mais la condition humaine, et c’est bien ce qui pouvait le rendre insupportable à ses contemporains.

Serait-il mieux accueilli aujourd’hui ? Ce n’est pas certain : au début de cette année 2018, lorsque l’office du tourisme de Vienne a lancé pour le centenaire de sa mort « l’année Schiele », les affiches reproduisant ses dessins ont été censurées. Les publicitaires autrichiens ont trouvé une parade qui prouve qu’ils connaissent leur métier en apposant sur les zones du corps litigieuses un bandeau portant cette question : « 100 ans et encore trop osé ? » On attend de voir les affiches de la Fondation Louis Vuitton dans le métro parisien.

Ces article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Fondation Louis Vuitton.