Le vice-président américain, Mike Pence, s’attaque frontalement à la Chine
Le vice-président américain, Mike Pence, s’attaque frontalement à la Chine
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Mike Pence a mené un violent réquisitoire contre le système de pouvoir chinois. Sa diatribe a eu, pour la première fois, des accents de guerre froide.
Devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre, Donald Trump s’était contenté de répéter ses griefs anciens contre les pratiques commerciales de la Chine. Le lendemain, au cours d’une conférence de presse, il avait durci le ton en dénonçant pour la première fois dans une intervention publique la volonté prêtée à Pékin d’influer sur les élections américaines de mi-mandat prévues le 6 novembre.
Il ne s’agissait, cependant, que d’un avant-goût du violent réquisitoire prononcé une semaine plus tard par son vice-président, Mike Pence. Jeudi 4 octobre, devant le Hudson Institute, un cercle de réflexion conservateur de Washington, cette diatribe a eu pour la première fois des accents de guerre froide.
De fait, Mike Pence ne s’est pas contenté de revenir sur « le vol de propriété intellectuelle américaine » et « la pratique prédatrice des transferts forcés de technologie » dénoncés de longue date par les administrations américaines successives. Le vice-président est passé à l’attaque en assurant que « la Chine a lancé un effort sans précédent pour influencer l’opinion publique américaine, les élections de 2018 et l’environnement qui a conduit aux élections présidentielles de 2020 ».
« Pékin a mobilisé des acteurs secrets »
« Pour parler franchement, la politique du président Trump [pour contrer Pékin] fonctionne, et la Chine veut un président américain différent », a assuré Mike Pence. « Ils ont spécifiquement ciblé les industries et les Etats qui joueraient un rôle important lors des élections de 2018. Selon une estimation, plus de 80 % des comtés américains visés par la Chine ont voté pour le président Trump en 2016. La Chine veut retourner ces électeurs contre notre administration. »
Il en est convaincu, « Pékin a mobilisé des acteurs secrets, des sociétés écrans et des moyens de propagande pour modifier la perception des Américains à l’égard des politiques chinoises ». « Un membre de haut rang de notre communauté du renseignement m’a récemment expliqué ce que les Russes font piètre figure par rapport à ce que fait la Chine dans tout le pays », a ajouté le vice-président dans une allusion aux interférences prêtées à Moscou par le renseignement américain lors de la présidentielle américaine de 2016 et qui embarrassent Donald Trump.
Alors que l’administration de Donald Trump s’abstient généralement, à de très rares exceptions, de la moindre critique visant la nature des régimes avec lesquels elle collabore ou rivalise, y compris pour la Russie, le vice-président s’est livré, jeudi, devant le Hudson Institute à une critique impitoyable du système de pouvoir chinois. Il est allé bien au-delà du qualificatif de puissance « révisionniste », accolé à la Chine dans la Vision stratégique de la nouvelle administration publiée en décembre 2017. Pékin y était décrit comme voulant « forger un monde à l’opposé des valeurs et des intérêts américains ».
« La Chine a bâti un Etat de surveillance inégalé, qui ne cesse de grossir et de devenir plus intrusif, souvent avec l’aide de la technologie américaine », a, en effet, dénoncé Mike Pence, stigmatisant un modèle « orwellien » visant à contrôler « la moindre facette de l’activité humaine ». Chrétien évangélique fervent, le vice-président a consacré un passage de son intervention à « la vague de répression qui s’abat sur les chrétiens, les bouddhistes et les musulmans ».
Mise en garde
Critiquant à mots à peine couverts l’accord conclu en septembre par le Vatican et Pékin, il a dénoncé le pouvoir de nomination d’évêques reconnu « à un pouvoir athée », évoquant des « temps désespérés pour les chrétiens chinois ». Il s’est montré tout aussi sombre à propos du sort des bouddhistes tibétains, avant d’évoquer « le million de Ouïgours » musulmans soumis dans des camps à « des lavages de cerveau ».
Pour le vice-président, ce tableau inquiétant a valeur de mise en garde. « Comme l’atteste l’histoire, un pays qui opprime son propre peuple s’arrête rarement là », a-t-il estimé. C’est dans ce contexte qu’il a replacé le projet prêté à la Chine dans la Vision stratégique de 2017 d’évincer les Etats-Unis de la région. « La Chine ne veut rien moins que repousser les Etats-Unis d’Amérique du Pacifique occidental et tenter de nous empêcher de venir en aide à nos alliés », a-t-il confirmé.
Il a réitéré avec une virulence inédite pour cette administration les critiques américaines anciennes visant les ambitions territoriales chinoises. Tout d’abord sur son pourtour maritime, pointant les îles japonaises dont la souveraineté est contestée par la Chine, comme les récifs aménagés par Pékin en mer de Chine méridionale. En rappelant également l’attachement de Washington au statut de Taïwan, en dépit de la politique d’« une seule Chine », adoptée par les Etats-Unis depuis bientôt quatre décennies. Provocateur, Mike Pence a même ajouté que « Washington restera toujours convaincu que le modèle démocratique choisi par Taïwan constitue une meilleure voie pour tous les Chinois ».
« Diplomatie de la dette »
Le vice-président a ensuite stigmatisé également « la diplomatie de la dette », dont useraient, selon lui, les autorités chinoises pour convertir leur influence économique en avancées géopolitiques. Il a pris l’exemple du port de Hambantota, au Sri Lanka, qui « pourrait bientôt devenir une base militaire avancée pour la marine en pleine croissance de la Chine », a-t-il averti. Mike Pence a déploré le soutien chinois, qualifié de « bouée », apporté au Venezuela de Nicolas Maduro. « Pékin corrompt également la politique de certaines nations en fournissant un soutien direct aux partis et aux candidats qui promettent de tenir compte des objectifs stratégiques de la Chine », a-t-il ajouté, sans pour autant dévoiler le moindre nom.
Au cours des dernières semaines, les désaccords entre la Chine et les Etats-Unis ont nettement débordé du cadre des contentieux commerciaux. Après l’annulation d’une visite à Pékin du secrétaire à la défense des Etats-Unis, James Mattis, des frictions navales ont été signalées, dimanche 30 septembre, près des îles Spratleys. Elles sont liées la volonté américaine constante d’exercer une liberté de navigation sans entrave en mer de Chine méridionale. La critique violente du régime chinois prononcée, jeudi, par Mike Pence devrait dramatiser un peu plus encore ces tensions.