Une femme vote, samedi 6 octobre, lors du premier jour du référendum contre le mariage homosexuel en Roumanie. / Andreea Alexandru / AP

Andrei Petreanu, jeune informaticien bucarestois, a décidé de profiter du week-end : « Je reste à la maison et je vais faire l’amour. » Et il est loin d’être le seul à avoir fait ce choix. Les jeunes Roumains ont décidé de bouder, samedi 6 octobre, le référendum organisé par le gouvernement social-démocrate contre le mariage homosexuel. « Reste à la maison et fais l’amour », c’est le slogan que plusieurs associations de la communauté LGBT ont proposé aux 18 millions de Roumains attendus dans les bureaux de vote pour valider l’interdiction du mariage homosexuel dans la Constitution.

D’un point de vue légal rien ne changera à l’issue du référendum, puisque la législation roumaine n’autorise actuellement ni le mariage entre personnes de même sexe ni l’union civile. « Ils nous prennent pour des débiles, se révolte Andrei Petreanu. Le code civil roumain prévoit déjà que le mariage ne peut avoir lieu qu’entre un homme et une femme. Ce référendum ne changera rien, c’est une perte de temps et d’argent pour que les gouvernants gagnent du capital politique. »

À première vue la bataille des sociaux-démocrates contre le mariage homosexuel semble gagnée d’avance. D’après les sondages, plus de 90 % des Roumains qui s’apprêtent à voter vont suivre la consigne donnée par le gouvernement. Mais, selon la loi le référendum ne peut être validé que si le taux de participation dépasse 30 %. Pour s’assurer la victoire, le gouvernement a modifié la loi électorale pour que le référendum s’étende sur deux jours au lieu d’un, et une machine de propagande contre la communauté LGBT a été déclenchée avec l’appui de l’Église orthodoxe qui regroupe 87 % des Roumains. « Si on lit la presse, on a l’impression qu’une armée d’homosexuels s’est rassemblée aux frontières de la Roumanie pour nous envahir et voler nos enfants », ironise Andrei Petreanu.

Millions de tracts

Si, en Europe occidentale, la gauche s’est montrée ouverte au mariage homosexuel, les sociaux-démocrates roumains ont choisi d’être à contre-courant de leurs confrères de l’Ouest. Ils se sont alliés avec la puissante Église orthodoxe qui a vu ses paroisses arrosées de subventions par le gouvernement et les mairies de gauche. Des millions de tracts contre la communauté LGBT ont été distribués par les popes dans les villages, où vivent presque la moitié des 20 millions de Roumains.

Ces tracts ont aussi été distribués dans les écoles publiques avec la complicité des inspecteurs de l’Éducation nationale issus du Parti social-démocrate (PSD). Le président du PSD et de la Chambre des députés, Liviu Dragnea, s’est rendu en personne sur les plateaux des chaînes de télévision pour appeler les Roumains à voter. « Nous sommes tolérants, mais nous ne pouvons pas accepter tout ce qu’on nous impose, a-t-il déclaré le 30 septembre. Beaucoup de Roumains ont peur des évolutions qui se produisent dans d’autres pays, par exemple la légalisation du mariage entre un homme et un animal. Il y a de quoi avoir peur, non ? »

Le patriarche Daniel, à la tête de l’Eglise orthodoxe roumaine, vote, samedi 6 octobre. / Andreea Alexandru / AP

Malgré l’hystérie du gouvernement contre les homosexuels, faite de clichés et de mensonges, les bureaux de vote n’affichaient samedi soir qu’un taux de participation de 7 %. Un score qui ne rassure pas les sociaux-démocrates, mais ces derniers comptent sur la messe de dimanche et sur les popes pour persuader les paysans de prendre le chemin des bureaux de vote. « Les dirigeants du monde préparent la venue de l’Antéchrist, peut-on lire sur les affiches collées à l’entrée des églises. Votez pour défendre la normalité. » Pour le chef de file de la gauche Liviu Dragnea le référendum est devenu une affaire personnelle. En 2016 il a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Le 21 juin 2018 il a été condamné une deuxième fois à trois ans et demi de prison ferme pour trafic d’influence. Lundi 8 octobre, il doit à nouveau se présenter en appel devant les juges.

Sentiment antieuropéen

L’homme fort de la gauche roumaine compte sur la réussite du référendum pour refaire son capital politique entamé par ses problèmes pénaux, d’autant qu’il fait l’objet d’une troisième enquête pour avoir détourné 20 millions d’euros de fonds européens. N’ayant plus de cartes à jouer M. Dragnea tente d’appuyer sur le sentiment antieuropéen. « Les hommes politiques exploitent avec cynisme le ressentiment contre la communauté homosexuelle, affirme Florin Buhuceanu, président de l’association ACCEPT qui représente la communauté LGBT roumaine. Ils veulent nous pousser à prendre nos distances avec l’Union européenne et à nous rapprocher de la Russie et de sa politique anti-UE. En décembre 1989 les Roumains ont sacrifié leur vie pour faire tomber le communisme. Ils ne sont pas morts pour que nous nous tournions de nouveau vers l’Est. »