Les Burkinabés de plus en plus inquiets face aux attaques récurrentes aux confins du pays
Les Burkinabés de plus en plus inquiets face aux attaques récurrentes aux confins du pays
Par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance)
En deux semaines, une vingtaine de membres des forces de sécurité ont été tués dans le nord et l’est du Burkina Faso.
Funérailles à Ouagadougou, le 31 août 2018, de sept membres des forces de sécurité tués trois jours plus tôt dans l’est du Burkina Faso. / STR / AFP
Samedi 6 octobre, Ouagadougou bruissait de rumeurs sur la mort d’un soldat de la force « Barkhane » dans l’est du Burkina Faso, ce que l’état-major français ne tardera pas à démentir formellement. « C’est en fait un militaire burkinabé qui a été tué et un autre blessé dans l’explosion d’un engin explosif improvisé » (IED), soutient une source sécuritaire. Mais ce quiproquo et l’ampleur que la rumeur a pris sur les réseaux sociaux et dans certains médias en disent long sur le sentiment d’insécurité au Burkina Faso, où les attaques à l’IED sont devenues quasi quotidiennes.
Depuis deux semaines, pas moins de 24 éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) ont été tués dans le pays. Vendredi, six policiers sont morts dans l’explosion d’une mine artisanale sur l’axe Sollé-Titao, dans le nord. La veille, dans l’est, six militaires ont péri dans des circonstances similaires près de Gayéri. Quelques heures plus tôt, dans la nuit, un gendarme a été tué et un autre blessé près de la mine d’or d’Inata, dans le Soum, à la frontière avec le Mali.
Selon le ministère de la sécurité, cette attaque « d’envergure » perpétrée par « un grand groupe de terroristes lourdement armés » a contraint les autorités à solliciter l’aide de la force « Barkhane », qui procédera à une frappe aérienne contre les assaillants.
« Psychose générale »
Après le nord du pays, déjà la cible d’attaques régulières depuis 2015, la région de l’Est, frontalière du Niger, du Bénin et du Togo, semble plonger à son tour. A ce jour, l’affiliation des groupes armés dans cette région n’a pas été déterminée. Mais au sein des services de sécurité burkinabés, on craint l’émergence d’un nouveau « front djihadiste ». « Ces personnes viseraient à implanter des bases aux fins d’attaques terroristes. […] Si rien n’est fait sous peu, la situation sécuritaire pourrait se dégrader davantage », alerte un responsable de la police locale dans une note interne datée du 4 septembre.
« Les groupes armés se sont illustrés par l’utilisation de techniques et de procédés dont la fréquence et la localisation prouvent qu’ils ont acquis une certaine expertise et une liberté d’action », analyse le premier ministre, Paul Kaba Thieba. La situation inquiète jusqu’à l’Elysée. « Il y a de nouvelles alertes terroristes dans l’Est et nous nous inquiétons de la faiblesse de la réponse des autorités », confie une source diplomatique française au Monde Afrique.
Au sein de la population, la multiplication des attaques sème la panique. « C’est la psychose générale dans les villages de l’Est », constate une source sécuritaire locale. « C’est de pire en pire, les gens ont peur. On a l’impression que les forces de sécurité sont désemparées face à la situation. On ne sait plus à quel saint se vouer, on reste confinés chez nous », témoigne un enseignant de Gayéri qui n’a toujours pas pu faire sa rentrée après l’attaque, en septembre, de trois écoles à quelques kilomètres de là.
Samedi 29 septembre, des milliers de partisans de l’opposition ont défilé dans les rues de la capitale pour protester contre la gouvernance du président Roch Marc Christian Kaboré, dénonçant notamment sa gestion de la situation sécuritaire. « Tous les jours, nos fils meurent au front, ça ne va plus. Il faut que le gouvernement prenne des mesures fortes pour assurer notre sécurité. Ça fait mal de voir notre pays comme ça », clamait une militante de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) présente dans le cortège.
« C’est du suicide »
« Nous manquons de moyens humains et logistiques. Ça décourage quand on apprend le décès d’un collègue au front, on se dit qu’on sera peut-être le prochain. Il faudrait plus de véhicules blindés et de moyens aériens. Nous envoyer comme ça sur des axes minés, c’est du suicide », confie une source militaire sous couvert de l’anonymat. « Les FDS ne sont pas équipées pour ce genre de combat. A cause de leur manque d’effectifs et de moyens logistiques, elles n’arrivent pas à maîtriser le terrain et sautent sur des mines », analyse une autre source sécuritaire.
« Il faut s’attendre à une intensification des attaques dans les mois à venir, estime le chercheur Mahamoudou Savadogo, spécialiste de la question sécuritaire au Sahel. L’accalmie pendant la saison des pluies, de juin à août, était stratégique, c’est une période d’incubation pour ces groupes. Ils ont eu le temps de se préparer, de se ravitailler en carburant et en vivres. Ils sont prêts. »
Du côté des autorités, on assure prendre la menace au sérieux. « Nous assistons à une vaste opération de déstabilisation du Burkina Faso. […] Des dispositions urgentes seront prises les prochains jours pour parer à cette situation et rétablir la sécurité dans cette zone », avait tenté de rassurer le président à l’issue d’une session extraordinaire du conseil supérieur de la défense nationale, le 8 septembre. L’armée burkinabée assure avoir mené plusieurs opérations de ratissage et des frappes aériennes dans les zones de Pama et de Gayéri.
Selon le dernier bilan officiel, les attaques terroristes ont fait 118 morts depuis 2015 au Burkina Faso.