Allemagne : quand le coprésident de l’AfD paraphrase Hitler
Allemagne : quand le coprésident de l’AfD paraphrase Hitler
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
Le dirigeant du parti d’extrême droite Alexander Gauland a utilisé dans une tribune une rhétorique comparable à un discours d’Adolf Hitler datant de 1933.
Alexander Gauland, lors d’une prise de parole au Bundestag, le 12 septembre 2018. / ODD ANDERSEN / AFP
Alexander Gauland, coprésident du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), s’est-il inspiré d’un discours d’Adolf Hitler pour écrire la tribune qu’il a récemment proposée à la Frankfurter Allgemeine Zeitung et que le grand quotidien conservateur a publiée dans son édition du samedi 6 octobre ? Dans ce texte, intitulé « Pourquoi faut-il du populisme ? », M. Gauland écrit notamment ceci :
« Cette classe mondialisée siège dans les grandes entreprises présentes à l’international, dans des organisations comme les Nations unies, dans les médias, dans les start-up, les universités, les ONG, les fondations, les partis et leurs appareils, et parce qu’elle contrôle l’information, elle donne le “la” sur le plan politique et culturel. Ses membres vivent presque sans exception dans de grandes villes, parlent couramment anglais, et parce qu’ils passent d’un job à un autre entre Berlin, Londres et Singapour, fréquentent partout les mêmes appartements, les mêmes maisons, les mêmes restaurants, les mêmes magasins et les mêmes écoles privées. Ce milieu est socialement homogène mais culturellement divers. La conséquence est que le lien entre cette nouvelle élite et sa terre d’origine est faible. Ces gens-là se sentent comme des citoyens du monde vivant dans une société parallèle. La pluie qui tombe sur leurs terres d’origine ne les mouille pas. Ils rêvent d’un monde unique ou d’une république mondiale. (…)
Face à cette classe mondialisée se dressent deux groupes hétérogènes qui ont formé une alliance au sein de l’AfD. D’un côté, une classe moyenne à laquelle appartient aussi notre tissu de PME, qui ne peut pas facilement délocaliser ses usines en Inde, pour y produire à bas coût. De l’autre, des citoyens lambda dont les jobs sont payés au lance-pierre ou n’existent tout simplement plus, qui ont durement travaillé toute leur vie et qui n’ont plus qu’une misérable retraite pour vivre. Ce sont ces gens pour qui la terre d’origine représente encore une valeur et qui sont les premiers à s’en voir dépossédés face à l’afflux des immigrés. Eux ne peuvent tout simplement pas partir et jouer au golf ailleurs. »
Une comparaison avec des propos tenus par Hitler en 1933
Deux jours après la parution de cette tribune, un journaliste du site d’information allemand T-Online, alerté par un message publié sur Twitter, a placé celle-ci en vis-à-vis d’un extrait d’un discours de Hitler.
Der Stand der Debatte 2018 in Deutschland: Paraphrasierte #Hitler-Reden werden in der #FAZ gedruckt. Wegen Pluralis… https://t.co/8hDeXEhUDM
— JMuellerToewe (@Jonas Mueller-Töwe)
Dans ce discours prononcé dans une usine Siemens de Berlin le 10 novembre 1933, soit neuf mois après sa nomination à la chancellerie, le chef du parti nazi accusait en ces termes une « petite clique internationale et déracinée » de trahir les intérêts des « travailleurs allemands » :
« C’est une petite clique internationale déracinée qui attise la haine entre les peuples et qui ne veut pas qu’ils vivent tranquillement. Ce sont des gens qui sont chez eux partout et nulle part, qui vivent aujourd’hui à Berlin, qui pourraient vivre demain à Bruxelles, après-demain à Paris, puis à Prague, Vienne ou Londres, et qui se sentent partout chez eux. Ces gens-là sont les seuls à être des éléments internationaux car ils peuvent mener leurs activités partout, à la différence du peuple qui ne peut les suivre, car le peuple, lui, est enchaîné à son sol, à sa terre d’origine, il est dépendant de ce que peut lui offrir son Etat, sa nation. Le peuple ne peut pas suivre. Le paysan est attaché à sa terre. Le travailleur est lié à son usine. Quand ça va mal, où peut-il trouver mieux ? »
Interrogé par le quotidien berlinois Der Tagesspiegel, M. Gauland s’est défendu de s’être inspiré de ce discours de Hitler de près ou de loin. « Je ne connais aucun passage d’Adolf Hitler faisant écho [à ce que j’ai écrit] », a assuré le coprésident de l’AfD.
« Ce ne sont pas les phrases qui sont les mêmes mais seulement l’idéologie qui les sous-tend »
Pour l’historien Wolfgang Benz, ancien directeur du centre de recherche sur l’antisémitisme à l’Université technique de Berlin, la défense de M. Gauland ne tient pas. « Certes, on ne peut pas insinuer que Gauland a copié Hitler mot pour mot. Malgré la concordance frappante dans l’argumentation et la formulation, il ne s’agit pas juridiquement d’un plagiat dans la mesure où ce ne sont pas les phrases qui sont les mêmes mais seulement l’idéologie qui les sous-tend. Reste que le texte de Gauland ressemble de très près à celui de Hitler. Il s’agit d’une paraphrase, qui donne le sentiment que le chef de l’AfD avait posé sur sa table le discours prononcé par le Führer en 1933 quand il a écrit sa tribune pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ce faisant, il a modernisé la critique contre la “clique internationale déracinée” en la rebaptisant “classe mondialisée” afin de l’adapter au langage d’aujourd’hui », écrit l’historien dans le Tagesspiegel.
Egalement sollicité par le quotidien berlinois, mardi, l’ancien ministre social-démocrate Sigmar Gabriel a quant à lui réagi à la tribune de M. Gauland en insistant sur l’imaginaire antisémite charrié par son texte. « Les partisans de Hitler le comprenaient et, pendant son discours, se chargeaient de crier “les Juifs” quand il faisait allusion aux élites internationalisées sans les mentionner directement. C’est exactement le même objectif que vise ce texte de Gauland. A ceci près que ce ne sont pas les Juifs qui sont visés aujourd’hui, mais nous, les démocrates de ce pays », estime M. Gabriel.
Membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) pendant plus de trente ans, coprésident de l’AfD depuis 2017, M. Gauland, 77 ans, a souvent été accusé, sinon de vouloir réhabiliter le nazisme, du moins de souhaiter en relativiser les crimes.
« Si les Français ont le droit d’être fiers de Napoléon et les Anglais de Churchill, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas être fiers des performances des soldats allemands durant la seconde guerre mondiale », avait-il ainsi déclaré, le 14 septembre 2017, dix jours avant que l’AfD n’entre en force au Bundestag avec 92 députés (sur 730). Neuf mois plus tard, le 2 juin, il affirmait dans un discours qu’« Hitler et les nazis ne sont qu’une fiente d’oiseau à l’échelle de plus de mille ans d’histoire glorieuse ».
De la part d’un homme politique cultivé, auteur de plusieurs essais historiques, ces déclarations ont souvent été interprétées comme des signaux envoyés à l’aile la plus radicale de l’AfD, et notamment à son principal représentant, Björn Höcke, avec qui M. Gauland s’est allié pour se faire élire à la tête du parti d’extrême droite en décembre 2017. Leader de l’AfD en Thuringe, M. Höcke avait provoqué une vive controverse, en janvier 2017, en demandant « un virage à 180 degrés de notre politique de mémoire » et en réclamant « une vision positive de notre histoire », afin que le peuple allemand échappe à l’« autodissolution » et puisse pleurer « ses victimes » de la seconde guerre mondiale.