« Microbe et Gasoil » : un road-movie buissonnier
« Microbe et Gasoil » : un road-movie buissonnier
Par Isabelle Regnier
Le très éclectique et fantaisiste Michel Gondry donne un film sur l’adolescence frais comme la rosée.
Enfant prodige du clip, contemporain de l’éclosion de la French Touch, devenu cinéaste aux Etats-Unis (son premier long-métrage, Human Nature, date de 2001), puis réalisateur de blockbusters (avec The Green Hornet, 2011), Michel Gondry n’a jamais cessé d’aller et venir entre la France et les Etats-Unis, entre la fiction et le documentaire, entre des projets artisanaux, comme bricolés dans son grenier, et des productions hollywoodiennes à gros casting, sans oublier ses « usines de films amateurs » qu’il installe aux quatre coins du globe pour offrir à tout un chacun la possibilité de réaliser un court-métrage.
Pareilles trajectoires sont rares et il convient de saluer la liberté d’esprit dont celle-ci témoigne, d’autant qu’elle est ici le sujet même du film. Teen-movie frais comme la rosée, inspiré des souvenirs d’adolescence de l’auteur, Microbe et Gasoil sonne comme un manifeste pour la liberté d’être soi, de résister aux assignations, de s’arracher aux cadres. Et à Versailles, où le film commence, les cadres n’ont pas la réputation d’être malléables.
Tendresse trash
Avec ses cheveux longs, sa passion dévorante pour le dessin, sa mère un peu lunaire, vaguement dépressive, Daniel (alter ego de l’auteur), en tout cas, ne s’y adapte pas. A l’école, on le traite de fille, on l’appelle « Microbe ». L’arrivée d’un nouveau, Théo, un fils de brocanteur fondu de mécanique, qui se pavane dans le quartier la sono à fond sur sa Mobylette customisée et s’exprime avec l’assurance d’un grand dandy, lui ouvre des horizons, et le sort de sa solitude. Chez ce garçon trop crade pour la jeunesse versaillaise, qui héritera du sobriquet de « Gasoil », il reconnaît un frère.
Les grandes vacances approchant, Daniel et Théo décident de vivre leur vie sans Dieu ni maître, en accord avec leurs rêves et leurs envies. Ils se construisent une voiture-maison (une cabane en bois posée sur un châssis, avec un moteur) et, sans en avertir leurs parents, partent sillonner la France. En équilibre entre un réalisme délicat et une fantaisie qui ne l’est pas moins, entre une tendresse trash rappelant Les Beaux Gosses (2009), de Riad Sattouf, et une étrangeté qui évoque le climat du Prince of Texas (2013), de David Gordon Green, le film, mué en road-movie buissonnier, trouve alors sa musicalité propre.
Une histoire d’élection mutuelle
L’atmosphère est légère, aérienne. Déjà centrale dans The We and the I (2012), la question de la représentation de soi, de la puissance coercitive du regard des autres, est cruciale ici encore. Elle passe par ces surnoms arbitraires, Microbe et Gasoil, que les deux jeunes héros n’ont pas choisis et qui perdent toute légitimité une fois franchies les portes du collège (Microbe ne ressemble pas à une fille, Gasoil n’est pas sale).
Rien n’est univoque, de fait, pas même la dynamique d’apprentissage des personnages, qui déborde la question sexuelle pour prendre un tour métaphysique, voire politique – l’incendie d’un camp de Roms par des policiers provoque une prise de conscience effarée chez Daniel. Et surtout pas les mécanismes de l’invention de soi.
Avec cette histoire d’élection mutuelle, Michel Gondry affirme qu’on est au moins autant le produit de son hérédité que des rencontres et des expériences que l’on fait par soi-même. Soutenu par ses jeunes acteurs (Ange Dargent et Théophile Baquet), qui rendent merveilleusement justice à son intention, il rend l’hommage le plus émouvant à cet ami perdu de vue, resté dans l’ombre, sans lequel, suggère-t-il, il ne serait peut-être pas devenu qui il est.
Microbe et Gasoil, de Michel Gondry. Avec Ange Dargent, Théophile Baquet, Audrey Tautou (France, 2015, 100 minutes).