Arte - Samedi 13 octobre - 20 h 50, SERIE DOCUMENTAIRE

Cette année, il est légitime de commémorer l’un des pires conflits qui déchirèrent l’Europe, saignant sa population, ruinant nombre de ses cités les plus prospères, rebattant les cartes d’un jeu politique incertain jusqu’à son terme. Ce n’est pourtant pas la première guerre mondiale, et le centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918, qu’évoque en six épisodes le docu-fiction de Philippe Bérenger et Henrike Sandner (les trois derniers seront diffusés le samedi 20 octobre), mais la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui solda les conflits religieux à l’œuvre dans la chrétienté depuis le début du XVIe siècle.

Tout part d’un conflit local au cœur du Saint Empire romain germanique. L’autorité catholique dans le royaume de Bohême majoritairement réformé est ­contestée, et un des représentants impériaux est défenestré à Prague le 23 mai 1618. S’ensuivent trente années de fer et de sang, d’effroi, aggravées par la propa­gation de la famine et des épi­démies, peste en tête. Au terme de ce conflit, la définition d’un nouveau statut des Etats qui fonde une Europe nouvelle par une ­série de traités dits « de Westphalie », sans vainqueurs ni vaincus (signés en octobre 1648, à Osnabrück, entre l’empire et les puissances protestantes, et à Münster, entre l’empire et les puissances catholiques).

Calculs géopolitiques

Trente années, autrement dit une éternité pour un monde où l’espérance de vie est plus brève encore. D’où la conviction que l’enfer est advenu sur Terre et le diable, le seul maître de ce chaos sans fin.

Pour évoquer ce long conflit, deux priorités. Un récit chronologique, qui permet de saisir que, en dépit des apparences et des légi­timations théoriques, la religion compte très vite bien moins que les calculs géopolitiques et les ­rivalités dynastiques, Habsbourg ­contre Bourbons notamment, dont les acteurs se relaient au premier plan. Se succèdent ici une phase initiale essentiellement interne à l’empire, puis un moment danois, un autre où la Suède s’impose sur la scène internationale avant que la France, prudemment dans l’ombre jusqu’en 1635, ne s’engage en première ligne.

Un panel de protagonistes très différents permet de mesurer comment le drame est vécu

Le choix d’une évocation humaine aussi, avec un panel de ­protagonistes très différents. Leur témoignage, direct (correspondance, Mémoires et messages chiffrés) ou indirect (actes judiciaires et chroniques locales), permet de mesurer comment le drame est vécu, que l’on soit fille de roi (Elizabeth Stuart, dont le père règne sur l’Angleterre et l’Ecosse), peintre versé dans une diplomatie occulte au service du roi d’Espagne (Rubens, durant la première décennie du conflit), conseiller écouté d’un ministre tout-puissant (le père Joseph, « éminence grise » du car­dinal de Richelieu)…

Mais le plus émouvant est de suivre le parcours d’une aubergiste de Biberach, Barbara Xeller, rattrapée par la fièvre, qui « transforme » toute femme en sorcière quand le diable semble avoir gagné et qui échappe au bûcher et à la torture. Celui d’une fillette, seule rescapée du massacre des siens à Calbe en 1630, Anna Margareta, malmenée, de monastère en camp militaire, et qui finit sa vie unie au commandant en chef de l’armée suédoise.

Ou celui, obscur et exceptionnel, de Peter Hagendorf, mercenaire de formation luthérienne, qui s’engage dans n’importe quel camp, indifférent aux enjeux religieux, pourvu qu’il ­gagne sa vie et reste vivant, qui ­traversa tout le conflit et en fit le récit avant de s’éteindre, presque octogénaire, en 1679. A hauteur d’homme, la leçon d’histoire est aussi une leçon d’humanité.

Un âge de fer, la guerre de Trente Ans, de Philippe Bérenger et Henrike Sandner (Fr./All., 2017, 6 × 55 min). www.arte.tv