Brexit : à six mois de la date fatidique, la crainte d’un échec des négociations reste vive
Brexit : à six mois de la date fatidique, la crainte d’un échec des négociations reste vive
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Les tractations avec l’UE butent sur le sort de l’Irlande du Nord, enjeu-clé pour l’intégrité du Royaume-Uni et le respect des accords de paix.
Le négociateur de l’UE pour le Brexit, Michel Barnier, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, le 16 octobre à Bruxelles. / POOL / REUTERS
Les discussions entre négociateurs britanniques et européens ayant tourné court le week-end dernier, aucune fumée blanche n’est a priori à attendre du sommet européen « spécial Brexit » du 17 octobre, présenté comme crucial il y a encore quelques semaines.
- L’Union européenne et Londres temporisent
Pour s’accorder sur un traité « global » de divorce, désormais urgent à moins de six mois de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), « nous n’y sommes pas encore » a ainsi déclaré Michel Barnier, le négociateur de l’Union, à l’issue d’un conseil des ministres des affaires européennes, mardi 16 octobre à Luxembourg. « Il faut plus de temps (…). Nous allons prendre ce temps calmement, sérieusement, pour trouver cet accord global dans les prochaines semaines », a ajouté le Français.
Evidemment, une bonne surprise n’est jamais à exclure, les sommets européens réservant souvent leurs lots d’imprévus. Après tout, celui de Salzbourg, le 20 septembre, s’annonçait complètement insipide. Il fut pourtant l’utile occasion d’un gros « clash » entre la première ministre Theresa May et les 27 dirigeants de l’Union.
Les Européens profitèrent de cette rencontre informelle pour énoncer quelques vérités désagréables à Londres : les espoirs britanniques d’une relation future « sans frictions » sur le plan économique ne tenaient pas la route, l’urgence était à boucler l’accord de divorce proprement dit. Et pour ce faire, le rendez-vous suivant, celui des 17 et 18 octobre, constituerait une « heure de vérité ».
- L’explosive question du statut de l’Irlande du Nord
Le traité de divorce est bouclé à « 80 % ou 85 % », a récemment précisé M. Barnier : le sort des expatriés a été largement sécurisé, Londres a accepté de s’acquitter d’un chèque de plusieurs dizaines de milliards d’euros de « restant à payer » dans le budget de l’Union. Mais, après avoir mis les bouchées doubles, à la suite du rendez-vous de Salzbourg, les négociateurs butent désormais sur un obstacle majeur : la question irlandaise.
Comment éviter le retour d’une frontière physique entre la province britannique d’Irlande du Nord et la République d’Irlande, a priori inévitable si, comme Mme May l’a promis à ses concitoyens, le Royaume-Uni sort de l’union douanière et du marché unique européen ? Pour contourner le problème, l’équipe de M. Barnier a proposé, dès décembre 2017, un « filet de sécurité » : l’Irlande du Nord reste alignée sur les normes réglementaires européennes pour les biens – et l’agriculture en ce qui concerne les contrôles phytosanitaires – et les nécessaires contrôles douaniers s’effectuent en mer d’Irlande, entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni.
Cette solution est depuis des mois rejetée par le DUP, le petit parti unioniste nord irlandais, partenaire de coalition de Mme May. Les négociateurs ont donc planché sur une autre solution : maintenir tout le Royaume-Uni, y compris l’Irlande du Nord, dans l’Union douanière, pour éliminer les contrôles entre Belfast et Londres.
Mais ce sont les Brexiters s’y opposent : maintenir indéfiniment leur pays dans l’Union douanière, le temps qu’une solution miracle s’impose, dans le cadre de la relation future entre l’UE et Londres, revient à abandonner toute velléité de politique commerciale indépendante.
- D’ultimes concessions, sans percée à ce stade
Mme May l’a redit devant la Chambre des communes, lundi 15 octobre : elle veut bien d’un maintien dans l’Union douanière, à condition qu’il soit temporaire. Les Européens semblent inflexibles : « L’équipe Barnier est allée au bout des solutions imaginatives, il y a des questions sur lesquelles on ne peut pas transiger », souligne un diplomate européen.
Le Français a par exemple proposé d’alléger au maximum les éventuels contrôles douaniers, et même, à en croire le Financial Times, à prolonger d’un an la période de transition accordée aux Britanniques, pour l’instant du 30 mars 2019 au 31 décembre 2020, afin de boucler leur « relation future » avec l’Union.
Mais à en croire les Vingt-Sept, la balle est désormais dans le camp de Mme May, qui doit trouver une majorité, dans son gouvernement et à la Chambre des communes, pour avaliser ce « filet de sécurité ». Certains, à Bruxelles, pensent qu’elle disposera d’un peu plus de marges de manœuvre pour faire avaler l’énorme couleuvre européenne, surtout vis-à-vis du DUP, après le bouclage des discussions sur le budget britannique, début novembre.
- La menace d’un échec des négociations
Les Vingt-Sept devraient donc mettre à profit leur rendez-vous au sommet, mercredi, pour alerter sur les risques d’un « no deal », « plus probable qu’il ne l’a jamais été », a affirmé Donald Tusk, le président du Conseil européen, dès lundi, mais aussi pour insister sur la nécessaire poursuite du dialogue.
Le prochain « rendez-vous Brexit » décisif devra être programmé sur proposition de M. Barnier, soit parce que Londres aura finalement accepté le compromis européen sur le « filet de sécurité », soit parce que la discussion restant complètement bloquée, les Européens devront se préparer ouvertement au « no deal ». Jusqu’à quand le Français pense-t-il pouvoir repousser ce constat, dramatique ? Jusqu’à décembre, aurait-il confié mardi depuis Luxembourg, à en croire l’agence Reuters.