La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, « La Matinale du Monde » propose ses coups de cœur à voir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
La semaine s’annonce grave et sombre dans les salles obscures, avec The House That Jack Built, l’autoportrait d’un psychopathe par Lars von Trier, le lunaire First Man de Damien Chazelle et le bouleversant Capharnaüm de Nadine Labaki. Plus léger, Alain Cavalier sort six moyens-métrages tournés en vidéo, qui documentent des décennies d’expérimentation et d’introspection cinématographique. Enfin, le Festival Lumière à Lyon propose jusqu’au 21 octobre des centaines de séances autour de grands noms du cinéma. Moteur !
« The House That Jack Built » : autoportrait psychopathe
THE HOUSE THAT JACK BUILT Bande Annonce (2018) Lars Von Trier, Uma Thurman
Durée : 03:27
Il y a, dans le nouveau Lars von Trier, trois motifs qui risquent de heurter la sensibilité contemporaine : le statut des femmes du film, toutes victimes et « stupides », une scène de brutalité dont sont victimes des enfants, enfin l’évocation du nazisme et de ses réalisations techniques et architecturales à des fins de démonstration. Il serait vain et fallacieux de considérer ces audaces comme relevant du simple souci de provocation. Car ce qui se dégage de ce qu’il faut davantage considérer comme un essai cinématographique que comme une comédie macabre ou un film d’horreur, c’est la volonté de passer en revue ce qui fonderait une définition du Mal et les conditions de sa représentation.
Jack (éblouissant Matt Dillon) est un tueur en série commentant placidement ses meurtres, à la recherche d’un sens auquel cherche à répondre son interlocuteur, un certain Verge (Bruno Ganz). Construit en chapitres baptisés « incidents », le film détaille différents moments, qui sont autant d’assassinats commis par le personnage principal. Le serial killer est aujourd’hui la figure épuisée d’un cinéma que ce film s’amuse à déconstruire, entre effroi et éclat de rire. The House That Jack Built pose, avec humour, la question de l’art, de ses finalités et des conditions même de son existence. Jean-François Rauger
« The House That Jack Built », film danois de Lars von Trier. Avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman (2 h 35).
« First Man » : l’échappée lunaire de Neil Armstrong
First Man - Official Trailer #2 [HD]
Durée : 02:15
En 2016, avec La La Land, Damien Chazelle ressuscitait la comédie musicale, pour prendre acte de l’impossibilité à le faire aujourd’hui, en racontant l’échec et la séparation d’un couple d’artistes. Avec First Man, biopic de Neil Armstrong, le cinéaste relance cette fois le film d’exploration spatiale, dans la lignée d’œuvres comme L’Etoffe des héros (1983), de Philip Kaufman, ou Space Cowboys (2000), de Clint Eastwood.
A l’ère du tout-numérique, l’attention rétrospective de Chazelle pour l’ingénierie encore tâtonnante des années 1960 désigne un parti pris « millésimé » qui s’exprime sur pellicule (en 16, 35 et 70 mm), dont le mérite est de restituer la patine visuelle de l’époque.
First Man raconte donc l’épopée de Neil Armstrong (Ryan Gosling) et du programme Apollo, entre 1961 et le 21 juillet 1969, sous l’angle d’une perte inaugurale qui imprègne tout le reste du film : celle de Karen, la fille de l’astronaute, morte à l’âge de 2 ans d’une tumeur au cerveau. On connaît le goût de Chazelle pour les personnages qui sacrifient tout à leur réussite professionnelle. Son Neil Armstrong est de ceux-ci.
S’attache pourtant à lui une dimension funèbre qui infléchit le récit biographique attendu en un mélodrame et une réelle émotion. Chazelle assimile le programme Apollo à un travail de deuil perpétuel qui ne s’arrête pas à la perte d’un enfant, mais qui s’étend à ses coéquipiers disparus en chemin, ainsi qu’à une vie domestique mort-née. En interprétant ce personnage spectral, Gosling trouve sans doute l’un de ses meilleurs rôles. Mathieu Macheret
« First Man », film américain de Damien Chazelle. Avec Ryan Gosling, Claire Foy, Corey Stoll, Lukas Haas, Kyle Chandler (2 h 18).
« Capharnaüm » : dans les bas-fonds de Beyrouth
Capharnaüm / Bande-Annonce
Durée : 01:53
On ne reconnaîtra qu’un visage, celui de la réalisatrice, Nadine Labaki ; les autres, on ne les a jamais vus, à moins de connaître les quartiers les plus pauvres de Beyrouth. Labaki tient aussi le rôle de l’avocate qui défend Zain, un garçon d’une douzaine d’années, dans le procès qui l’oppose à ses parents, à qui il reproche de l’avoir mis au monde.
A rebours de ce que font nombre de ses pairs cinéastes-acteurs, la réalisatrice ne s’est pas réservée la part du lion, et les séquences de prétoire n’offriront que de brèves accalmies dans le torrent qui emporte Capharnaüm. Rien, dans ce troisième long-métrage la Libanaise, n’est attendu : sa violence, son style quasi documentaire, sa force romanesque prennent au dépourvu avant d’emporter la conviction.
Capharnaüm met en scène le désordre qui régit leur existence : les parents vendent leurs enfants, les hommes achètent les femmes, les moins faibles font souffrir les plus faibles en vertu de la loi d’airain qui surgit du fossé infranchissable séparant ceux qui n’ont rien des autres. Du mauvais côté de ce fossé, Zain (Zain Al-Rafeea) a suivi un chemin tortueux jusqu’à la prison d’où il lance la plainte contre ses parents, itinéraire que le film retrace en une série de retours en arrière.
Il y a quelque chose du regard des romanciers du XIXe siècle dans la manière dont Nadine Labaki met en scène le dénuement et ses effets sur l’humanité de ceux qu’il frappe, la même volonté de les rendre au genre humain par le biais de la fiction, qui se cristallise ici à travers le procès. Thomas Sotinel
« Capharnaüm », film libanais de Nadine Labaki, avec Nadine Labaki, Zain Al-Rafeea, Yordanos Shiferaw, Boluwatife Treasure Bankole, Kawthar Al-Haddad (2 heures).
« Six portraits XL » : le journal intime d’Alain Cavalier
Six Portraits XL FA Net
Durée : 01:58
A la fin des années 1960, Alain Cavalier tournait des fictions « classiques » (Mise à sac en 1967, La Chamade en 1968), avec des stars et des moyens, avant qu’une violente crise artistique et existentielle ne l’entraîne sur la voie d’un dépouillement radical. Depuis Ce répondeur ne prend pas de message (1979), le cinéaste s’est rabattu sur l’outil vidéo, avec ses caméras domestiques de plus en plus petites, et s’est mis à filmer seul, son œuvre, prenant le tour d’un journal intime en continu.
Les six portraits présentés ici, appariés en trois programmes distincts, sont les fruits de ce « diarisme » documentaire. Souvent tournés sur plus d’une décennie, ils mélangent le charme de l’instantané au temps long de la relation poursuivie qui unit le « filmeur » à ses personnages. Cavalier s’y attache à des figures très diverses, anonymes ou publiques, laborieuses ou vacantes, intempestives ou secrètes, masculines ou féminines, dont il observe à travers les semaines ou les années la permanence ou le changement.
La beauté de ces moyens-métrages (chacun dure cinquante minutes) tient d’abord à la proximité qu’Alain Cavalier établit avec chacun de ses personnages, déposant sur eux un regard amoureux et émerveillé qui n’empêche pas la lucidité, ni même parfois une certaine forme de cruauté. Ma. Mt.
« Six portraits XL », documentaires français d’Alain Cavalier. « 1. Léon et Guillaume » (1 h 44). « 2. Jacquotte et Daniel » (1 h 41). « 3. Philippe et Bernard » (1 h 43).
La 10e édition du Festival Lumière, à Lyon
Le prix Lumière sera décerné à Jane Fonda, pour l’ensemble de sa carrière de cinéma. / FESTIVAL LUMIÈRE DE LYON 2018
Pour sa 10e édition, le Festival Lumière de Lyon fêtera le cinéma, jusqu’au 21 octobre, à travers plusieurs centaines de séances réparties dans toute l’agglomération lyonnaise. Et en présence de nombreux invités prestigieux, tels que Liv Ullmann, Javier Bardem, Claude Lelouch, Peter Bogdanovitch, Alfonso Cuaron, Françoise Arnoul, Claire Denis.
Ouvert au public, le rendez-vous célèbrera cette année le cinquantenaire du film de Stanley Kubrick, 2001 : l’Odyssée de l’espace, les 15 ans de Nos meilleures années, de Marco Tullio Giordana. Une nuit « Seigneurs des anneaux » sera aussi proposée avec les trois films de Peter Jackson en versions longues et des documents rares.
Rétrospectives (Henri Decoin, Muriel Box…), hommages (à Liv Ullmann, Max Linder…), expositions photos, masterclass et remise du prix Lumière, à Jane Fonda, pour l’ensemble de sa carrière de cinéma, sont également inscrits au programme.
Festival Lumière 2018, du 13 au 21 octobre, à Lyon.