A Genève, en 2016. / FABRICE COFFRINI / AFP

Fort de son expérience à la tête d’une vingtaine de missions de l’ONU dans des zones de guerre, de l’Afghanistan à l’Irak en passant par la Bosnie ou le Soudan, ce diplomate italo-suédois s’est toujours défini comme un « optimiste chronique ». Ce trait de caractère explique probablement pourquoi Staffan De Mistura, 72 ans, accepta en juillet 2014 le poste d’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie que lui offrait le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon. Sa mission : « Faire cesser les violences et les violations des droits humains et promouvoir une solution pacifique de la crise syrienne ».

Elle tenait de l’impossible. Finalement, M. De Mistura a annoncé le 17 octobre au Conseil de sécurité qu’il jetait l’éponge pour raisons personnelles, las de n’avoir pas pu permettre un véritable démarrage des négociations intersyriennes de Genève entre le régime et l’opposition. « Je crois être un bon négociateur, même si personne n’est parfait, mais les négociations les plus difficiles, à la différence de ce que prétendent les manuels, sont celles avec sa propre famille », confiait-il récemment.

Tous ou presque, à commencer par le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, auraient souhaité que ce diplomate parfaitement au fait du dossier reste en fonction. Il a préféré mettre fin à presque quatre ans d’efforts et d’inlassable navette diplomatique.

« Il ne sait pas trancher »

Il lui fallait tenter de concilier les intérêts opposés des membres permanents du Conseil de sécurité comme les rivalités entre les puissances régionales directement engagées sur le terrain, comme la Turquie et l’Iran. Il lui fallait surtout composer avec l’intransigeance d’un régime sanguinaire toujours plus convaincu de pouvoir gagner la guerre, et avec les fractures d’une opposition toujours plus affaiblie.

Son bilan reste pour le moins limité, même s’il a réussi à maintenir en vie les discussions de paix de Genève, le seul et bien fragile cadre pour trouver au conflit une solution politique que toutes les grandes puissances appellent de leurs vœux – au moins en façade –, y compris la Russie.

Maîtresse du jeu depuis son intervention militaire à l’automne 2015 qui sauva le régime et lui permit de reconquérir l’est d’Alep, bastion symbolique de la rébellion, celle-ci craint aujourd’hui l’enlisement dans une guerre sans fin. Mais rien n’avance, même si la nouvelle administration américaine, hésitante sur la stratégie au-delà de la lutte contre l’organisation Etat islamique, semble finalement comprendre que le président syrien, Bachar Al-Assad, ne peut incarner l’avenir de son pays.

« De Mistura a les défauts de ses qualités. C’est un très fin négociateur, mais il est souvent trop conciliant et il semble tétanisé à l’idée qu’une des parties claque la porte », soupire un diplomate occidental. « C’est un vrai gentilhomme et il a une grande empathie pour chacun de ses interlocuteurs, mais il ne sait pas trancher quand il le faut », renchérit un parlementaire italien, perplexe quant au bilan de M. De Mistura comme sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, en 2011, dans le gouvernement de techniciens de Mario Monti.

Parlant sept langues – italien, suédois, anglais, français, espagnol, allemand et arabe –, ce fils d’un marquis italien de Dalmatie qui avait fui les partisans de Tito et d’une suédoise de bonne noblesse a un style qui tranche dans la grise bureaucratie onusienne. Haute silhouette et costumes parfaitement coupés, préférant le pince-nez aux lunettes, il fait le baise-main, revendique ses origines aristocratiques et montre à l’occasion une réelle inventivité diplomatique. Il a aussi le sens de l’humour, citant Samuel Beckett pour justifier son infinie persévérance : « Toujours essayer, échouer, mais qu’importe : essayer à nouveau et échouer mieux. »

Que pouvait-il faire pour Alep ?

En acceptant de devenir le troisième émissaire pour la Syrie, Staffan de Mistura connaissait toute la difficulté de sa mission. Deux poids lourds de la diplomatie onusienne, l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan et le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, l’avaient précédé sans arriver à grand-chose. Ils l’avaient prévenu : « Si tu ne fais rien, tu seras critiqué, si tu essaies de faire quelque chose, tu seras critiqué au moins par une des parties sinon par toutes. »

Le diplomate, au début, parlait parfois trop et trop vite, évoquant par exemple la nécessité de maintenir M. Assad dans le processus politique, ce qui déchaîna la colère de l’opposition. Mais peu à peu, les représentants de celle-ci ont fini par l’apprécier pour sa constance et sa connaissance des dossiers.

Estimant un accord général irréalisable à court terme, Staffan de Mistura a d’abord voulu privilégier des cessez-le-feu locaux. Cette politique de petit pas n’apporta guère de résultats concrets et le directeur politique de son équipe, Mouin Rabbani, démissionna avec fracas en dénonçant l’« incompétence » de son patron. Staffan de Mistura misa notamment sur Alep qu’il voyait comme le principal nœud de la crise syrienne. Mais que pouvait-il faire pour empêcher la reconquête de la ville en novembre 2016, alors même que le secrétaire d’Etat américain John Kerry, comme les autres dirigeants occidentaux, étaient impuissants face à la détermination de Moscou et Damas ?

Sa position comme celle de l’ONU furent encore affaiblies par le lancement début 2017 à Astana, la capitale kazakhe, d’un processus de paix alternatif parrainé par Moscou avec Téhéran et Ankara. C’était le symbole d’un basculement du monde : ni les Américains, ni les Européens ni aucun pays arabe n’était associé à cette initiative du Kremlin, mais cette tentative de « pax poutiniana » n’a, elle non plus, rien donné jusqu’à présent.

« Je n’attends pas de miracle, ce ne sera pas facile (…), mais nous savons tous ce qui se passera si nous échouons une fois de plus », répétait-il encore il y a un an et demi à Genève en ouvrant une nouvelle session des négociations après une interruption de neuf mois, et appelant les parties à leur « responsabilité historique ».

Salles contiguës

Selon la feuille de route fixée par la résolution 2254 adoptée à l’unanimité en décembre 2015 par le Conseil de sécurité de l’ONU, les négociations portent sur les modalités d’une future gouvernance « inclusive et non sectaire », la rédaction d’une nouvelle Constitution et la tenue d’élections sous supervision des Nations unies.

Le point crucial reste la « transition ». Pour le régime, avec le soutien de Moscou, cela signifie que Bachar Al-Assad reste aux commandes avec quelques réformes de façade. L’opposition, avec notamment le soutien de Paris mais aussi d’autres capitales occidentales et arabes, exige son départ au moins au terme du processus. Tout reste bloqué sur ce point.

Jamais, depuis le début du processus, les délégations du régime et de l’opposition n’ont négocié face à face. C’était toujours M. De Mistura ou l’un de ses représentants qui faisait la navette pour tenter d’établir au moins quelques points de convergence. Une seule fois, le 30 novembre 2017, l’envoyé spécial a réussi par surprise, sans les avoir averties à l’avance, à faire siéger le temps d’un après-midi la délégation du régime et celle de l’opposition dans deux salles contiguës du palais des Nations à Genève.

Mais il ne put aller plus loin. Son dernier voyage, à l’invitation des autorités syriennes, sera à Damas pour évoquer la formation d’un Comité constitutionnel à même de rédiger une nouvelle constitution. Il devrait réunir des experts présentés par le régime, par l’opposition, et par l’ONU. La démission de Staffan de Mistura sera effective fin novembre.