Ross Douglas, président fondateur d'Autonomy. / collection privée

Pourquoi avoir lancé en 2017 un nouvel événement autour de la mobilité ?

Face à une industrie en croissance rapide, il est nécessaire de permettre aux acteurs de se rassembler, échanger, collaborer, conclure des deals. Par exemple, cette année nous avons une version complète du Volocopter (doté de 18 hélices). Les air-taxis vont arriver, mais tant que les villes ne voient pas leur taille, ne rencontrent pas les gens qui les fabriquent, elles ne comprennent pas bien les problèmes qui y sont associés.

Les innovateurs ont besoin de dire aux décideurs politiques et aux villes comment ils voient l’évolution dans cinq, dix ans afin que ces acteurs puissent commencer à comprendre le type d’infrastructure et de législation dont ils auront besoin. Aucune ville n’est prête pour les véhicules autonomes, et Paris n’a pas non plus de législation sur les trottinettes électriques.

De plus, il y a un besoin très important de mise en récit des raisons pour lesquelles l’Europe a une mobilité de qualité. Les villes européennes tendent à devenir des importatrices d’innovations : les bicyclettes Ofo, par exemple, viennent de Chine, les voitures électriques Tesla viennent des États-Unis. En Chine, il y a près de 150 constructeurs automobiles ! La Silicon Valley, quant à elle, domine l’innovation en matière de mobilité, par la quantité d’argent investi. Pour continuer à exporter leurs solutions de transport, il manque deux choses à l’Europe : le financement et la mise en récit (« storytelling »).

Et pourquoi avoir choisi Paris pour accueillir cet événement ?

Paris est la capitale du transport et personne ne le sait. Au niveau politique, elle promeut les nouvelles solutions de mobilité et veut devenir la première ville post-voiture. Elle doit aussi proposer des nouvelles solutions car elle a la plus grande densité en occident. Plus on se rapprochera des Jeux olympiques, plus la ville devra faire preuve de créativité en matière de déplacements.

Notre reportage en amont du salon Autonomy 2017 : La « micromobilité » urbaine en vogue

Vous avez commencé par faire des documentaires, puis travaillé dans l’événementiel. Comment en êtes-vous venu à la mobilité ?

Etrange parcours. Je suis sud-africain et entrepreneur. Je vivais et travaillais en Afrique du Sud où j’ai repris une agence d’organisation d’événements culturels. Je voulais développer une activité à l’international pour aider les start-up à trouver des investisseurs. Or à Lagos, pour participer à trois meetings par jour, je devais passer six heures en déplacement, en avançant à 4 km/h, sous d’épais nuages de pollution. Tandis qu’à Copenhague, je pouvais participer à sept meetings par jour, en me déplaçant à bicyclette, pour un coût de 10 euros. J’ai réalisé que l’usage de la voiture en ville ne pouvait plus durer, particulièrement dans les économies émergentes, en raison de leur urbanisation massive. Physiquement, il n’y a plus d’espace.

J’ai aussi réalisé des films sur l’environnement et la vie sauvage. Ce qui m’a amené à m’intéresser au réchauffement climatique et donc au besoin de réduire les émissions de carbone. Or autant il est difficile de limiter les vols d’avion, autant on doit s’attaquer au transport personnel. Utiliser un véhicule de deux tonnes pour transporter une personne de 80 kg d’un point A à un point B est de la folie !

D’où votre intérêt pour les bicyclettes ?

Steve Jobs a dit un jour que « l’ordinateur est l’outil le plus remarquable que nous ayons inventé, c’est l’équivalent d’une bicyclette pour nos esprits ». Il saluait ainsi l’intelligence de la bicyclette. L’être humain est l’animal le moins efficace en termes de calories dépensées pour se déplacer. En revanche, sur une bicyclette, il devient le plus efficace de tous les animaux. C’est particulièrement vrai en ville, où la plupart des trajets ne font pas plus de 4 à 5 kilomètres.

Quelles sont les tendances les plus intéressantes dans la mobilité ?

Au sortir de votre appartement à Paris, vous verrez sans doute une trottinette électrique Bird. Lancée à San Francisco il y a un an, elle a déjà permis de réaliser 10 millions de trajets. Un chiffre extraordinaire pour une entreprise nouvelle. Et très inquiétant pour les Européens qui sont excellents dans la construction de bonnes solutions d’ingénierie, mais qui grandissent lentement, ville par ville.

La voiture autonome fait l’objet d’une innovation intense. Comment appréhendez-vous son développement ?

Les plus grandes compagnies investissent des sommes colossales dans le véhicule autonome. Reste à comprendre leurs motivations exactes. Je ne crois pas qu’elles s’inscrivent dans une réflexion sur l’évolution des transports. Il faut plutôt chercher du côté des espaces où les gens dépensent beaucoup d’argent et de temps. La voiture autonome permettra d’utiliser nos mains libres pendant les trajets pour acheter des choses sur Amazon, Netflix, LinkedIn, Facebook, Twitter, Instagram, etc. L’enthousiasme pour le véhicule autonome tient à cet espace tiers qui sera grandement prisé pour la vente au détail.

On est loin de l’idée d’une mobilité plus durable ?

Sans compter que ce qui fait une ville, c’est d’avoir des personnes dans les rues. C’est ce qui les rend si agréables à visiter, notamment en Europe. Dans une ville où l’on peut marcher, déambuler, vous y trouvez un sens du lieu, mais aussi une offre fantastique de nourriture, de modes, de designs. Pourquoi Paris est-elle la ville la plus visitée au monde ? Pourquoi aime-t-on se rendre à Venise, à Barcelone pour ne citer qu’elles ?

A contrario, Los Angeles est un cauchemar : vous vous asseyez dans une voiture pour aller dans un centre commercial. Idem à Djakarta ou Johannesburg où l’on trouve les mêmes boutiques. Même Shanghai a perdu son sens du lieu. L’Europe doit préserver cette qualité. Parce que la mobilité active dans les rues est saine et parce que les boutiques de rues paient des taxes, alors que les gens dans les véhicules autonomes achèteront sur Amazon.

Vous dites avoir une approche holistique de la mobilité. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Il faut toujours regarder les externalités d’un système, ses effets sur d’autres systèmes. Par exemple Google dit que 1,2 million de personnes meurent chaque année du fait des accidents de la route et qu’il faut se débarrasser des conducteurs. Mais plus de gens meurent du fait de l’obésité et des maladies qui en découlent. Ceci peut être réduit par la mobilité active.

Il faut toujours prendre les externalités en compte, faute de quoi certaines technologies vous amènent à faire fausse route. En 1997, les lobbies européens ont œuvré pour le diesel… personne n’a regardé les externalités sur la santé par exemple et maintenant personne n’en veut plus. On pourrait avoir la même chose avec les voitures autonomes.

Les responsables européens, publics ou privés, parlent toujours de leur propre pays, rarement de l’Europe. N’est-ce pas un problème ?

Face à la compétition provenant de Chine et à la collaboration Chine-Etats-Unis, les pays de l’Europe ne survivront pas dans le secteur de la mobilité s’ils ne font pas évoluer leurs conceptions. Ils collaborent peu. Les compagnies françaises et européennes ne comprennent pas l’échelle à laquelle le monde s’urbanise. Elles doivent offrir aux habitants des villes une vision à long terme holistique et durable avec des solutions globales.

L’Europe peut-elle exporter sa mobilité dans le reste du monde ?

Bien sûr. L’Europe exporte avec succès son mode de vie. Nous mangeons italien en Afrique du Sud, en Australie ou en Amérique et nous achetons la mode ou les parfums français pour imiter vos modes de vie. Les Européens mettent en avant leur qualité de vie, mais ils ne sont pas parvenus à y intégrer leur approche de la mobilité.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi Paris. Je peux aller au travail en vélo, marcher pour aller chercher mes enfants à la crèche. Au lieu de vendre des solutions techniques, les compagnies européennes de transport doivent se rassembler et dire aux villes en croissance rapide de par le monde qu’elles sont capables de créer un mode de vie européen dans les rues.

L’une des raisons pour lesquelles je suis hautement pessimiste sur l’Afrique est qu’elle s’urbanise tandis que l’Europe y jette ses véhicules diesel de seconde main. Embouteillages et contamination deviendront insupportables. Personne ne voudra y aller. Les Africains préféreront se rendre ailleurs.