Fernando Haddad, le candidat du Parti des travailleurs, lors d’un meeting à Sao Paulo, le 17 octobre. / STRINGER / REUTERS

Le Parti des travailleurs (PT, gauche), brisé, redoute la défaite au second tour de l’élection présidentielle du Brésil, le 28 octobre. Mais il pense avoir l’occasion d’un coup d’éclat : l’occasion, inouïe, d’annuler le scrutin et de dénoncer la « fabrique de mensonges » de son adversaire d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Jeudi 18 octobre, le PT de Fernando Haddad, crédité de 41 % des intentions de vote contre 59 % pour son opposant, a déposé, en même temps que son allié du Parti démocratique des travailleurs (PDT, centre gauche) de Ciro Gomes, une demande d’enquête auprès du Tribunal supérieur électoral (TSE) évoquant un possible « crime électoral ».

Le camp de la gauche brésilienne suspecte en effet l’équipe de Jair Bolsonaro, militaire de réserve, d’avoir orchestré une « campagne de diffamation » à l’encontre du PT et de Fernando Haddad par le biais d’une série de messages achetés et envoyés par WhatsApp à des millions d’utilisateurs par des entreprises acquises à la cause de l’ancien capitaine.

« Il revient au TSE de prendre des mesures », a lancé Fernando Haddad, jeudi, lors d’un entretien à la radio Globo. « Il faut convoquer WhatsApp immédiatement, car tout le monde parle d’une nouvelle commande [de messages contre ma candidature], prévue pour la semaine prochaine », a-t-il ajouté.

Contrats avec des agences spécialisées

Ces soupçons sont liés à un article du quotidien Folha de Sao Paulo, paru jeudi matin, sous le titre « Des entreprises financent l’envoi de messages anti-PT sur les réseaux sociaux ». Selon le journal, des sociétés concluraient, en ce moment même, des contrats avec des agences spécialisées, telles Quickmobile, Yacows, Croc Services ou SMS Market, chargées d’envoyer en masse des messages par le système WhatsApp, très utilisé au Brésil. « Ils préparent une grande opération lors de la semaine précédant le second tour du scrutin », affirme le quotidien, parlant de contrats de 12 millions de reais chacun (2,8 millions d’euros) pour des centaines de millions de messages envoyés. « Le financement de campagne électorale par des entreprises privées est illégal. Il est question de fraude », souligne une source au sein du PT.

Parmi les entreprises acheteuses figure, selon Folha de Sao Paulo, Havan, une chaîne brésilienne de magasins d’équipement ménager. Un groupe détenu par Luciano Hang, fervent admirateur de Jair Bolsonaro, qui s’est déjà illustré dans la campagne en diffusant une vidéo à ses employés leur expliquant que, en cas de victoire du PT, la chaîne de distribution ne créerait plus d’emplois. Furieux, ce dernier a démenti les affirmations de Folha, parlant de « mensonges » et promettant de traîner le quotidien devant les tribunaux.

« La Folha de Sao Paulo, toujours la Folha de Sao Paulo. Un journal qui, réellement, s’enfonce de plus en plus dans la boue (…), a réagi Jair Bolsonaro dans une vidéo mise en ligne sur Facebook. Nous n’avons pas besoin de fake news pour battre Haddad, les vérités suffisent. Tous se souviennent de treize ans du PT [au pouvoir de 2003 à 2016], de caisses noires, de corruption généralisée. » Plus tôt dans la journée, le militaire avait confié au site O Antagonista ne pas avoir « le contrôle sur les entreprises sympathisantes ».

« Une vague au moment final »

Le PT et le PDT pensent que cette pratique visant à bombarder les électeurs de messages nocifs a déjà été utilisée les jours précédant le premier tour du scrutin, le 7 octobre. La veille, des rumeurs circulaient, affolant les potentiels électeurs du PT. Au-delà de messages faisant de Fernando Haddad un promoteur de l’homosexualité dans les écoles, des alertes avisaient les sympathisants du parti de gauche qu’ils pourraient perdre leur emploi ou leur carte d’électeur s’ils votaient PT. D’autres leur recommandaient, par mesure de sécurité, de se rendre aux urnes le 8 octobre, afin d’éviter les troubles en croisant les électeurs de Bolsonaro le 7.

Mauro Paulino, directeur de l’institut de sondages Datafolha, a renforcé les doutes sur ce bombardement de “fake news” affirmant, jeudi, sur Twitter, que « les enquêtes électorales avaient mis en évidence une vague au moment final ». La veille du premier tour de l’élection, le candidat d’extrême droite affichait un score de 40 % d’intentions de vote. Il en a obtenu 46 % le jour du vote.

« Le problème des fake news était déjà très grave. L’achat et l’envoi en masse de fake news contre le PT, c’est encore d’un autre niveau. C’est un crime. De l’abus de pouvoir économique. Nous allons demander l’annulation des élections », a expliqué au quotidien O Globo Carlos Lupi, président du PDT. Jeudi, le TSE ne s’était pas encore exprimé.