John Isner et Nicolas Mahut après leur premier tour de légende à Wimbledon, le 24 juin 2010. / GLYN KIRK / AFP

Les bonnes nouvelles étant assez rares dans le tennis français ces derniers temps, il serait dommage de ne pas les signaler. Ainsi, Nicolas Mahut restera-t-il à jamais — avec son adversaire, complice et bourreau, l’Américain John Isner — le détenteur du record du match le plus long à Wimbledon (et sans doute dans l’histoire du tennis tout court). La bataille de onze heures et cinq minutes disputée trois jours durant (conclue 70-68 par Isner au 5e set) lors du premier tour des Internationaux de Grande-Bretagne en 2010 appartient à un passé désormais révolu.

Le All England Lawn Tennis and Croquet Club (AELTC) a annoncé vendredi 19 octobre l’introduction du tie-break dans les cinquièmes sets (et troisièmes pour les femmes), lorsque le score est de 12-12, à partir de l’édition 2019.

« Si nous savons que les matchs qui durent dans le cinquième set sont rares, nous pensons qu’un tie-break à 12-12 atteint le point d’équilibre où les joueurs auront eu assez de temps pour prendre l’avantage dans le match, tout en garantissant que la rencontre s’achève dans des délais raisonnables », a justifié Philip Brook, membre du All England, dans un communiqué.

Le lobby efficace des joueurs

Cette décision va dans le sens des doléances émises par certains joueurs. Et pas des moins influents. En 2017 à Wimbledon, Novak Djokovic était allé de son petit coup de gueule contre ce qu’il considérait comme un anachronisme. « John Isner et Nicolas Mahut sont entrés dans l’histoire avec un match de onze heures. C’est pour ça qu’on garde cette règle ?, demandait l’actuel numéro un mondial. C’est formidable pour le suspense mais les joueurs doivent retourner sur le court le lendemain. »

Le Serbe avait peu apprécié d’avoir attendu près de cinq heures pour jouer à la suite du match perdu par Rafael Nadal contre le Luxembourgeois Gilles Müller (15-13 au 5e set).

Ironie de l’histoire, une autre rencontre homérique de John Isner sur le gazon londonien (perdue cette fois) a sans doute fini de convaincre les honorables membres du All England de renoncer à cette tradition. Le 13 juillet, le Sud-Africain Kevin Anderson venait à bout de l’Américain à la casquette à l’envers lors d’une demi-finale de six heures et trente-six minutes (26-24 au 5e set). Malgré une journée de repos, le malheureux Anderson était ramassé à la petite cuillère en finale par Novak Djokovic en trois sets (6-2, 6-2, 7-6).

Pour ses détracteurs, le corps courbaturé du double mètre sud-africain devenait le symbole de cette tradition d’un autre temps. « Je crois que Wimbledon est en train d’y songer, confiait le 5 septembre… Kevin Anderson en sa qualité de membre du conseil des joueurs de l’ATP. Il y a bien sûr des pro et des anti, mais j’ai entendu dire qu’ils en parlaient. » Même si son nom restera associé à jamais à ce baroque 70-68, John Isner lui-même plaidait pour l’introduction d’un jeu décisif à 12-12.

Roland-Garros, bientôt le dernier résistant ?

Après la petite mort de la Coupe Davis sous son format historique, le tennis enterre un second mythe à quelques mois d’intervalle. La direction de l’Open d’Australie envisagerait aussi l’introduction d’un jeu décisif au 5e set (comme c’est déjà le cas à l’US Open à 6-6).

A l’avenir, Roland-Garros pourrait bien devenir le dernier tournoi du Grand Chelem à tolérer la possibilité de ces matchs sans fin. « Cette abomination des matchs qui ne finissent pas », mordait Jimmy Van Alen, l’homme à l’origine du tie-break. Mécène du tournoi de Newport (Rhode Island), ce riche industriel américain avait lancé sa croisade après un match à rallonge — et même pas intéressant selon lui — lors de l’édition de 1954.

A l’époque, tous les sets devaient se terminer par deux jeux d’écart. Sacrilège supplémentaire : le cocktail du soir était passé à la trappe toujours à cause de ce « simple atroce », comme le racontait Slate.fr en 2010 après le fameux Mahut-Isner. Le tie-break fera son apparition en 1970 à l’US Open. Au motif qu’ils n’avaient pas été prévenus, les joueurs de l’époque signèrent une pétition pour empêcher cette nouveauté.

Quarante-huit ans plus tard, le jeu décisif cher à Jimmy Van Alen a définitivement remporté la partie. Alors, il revient encore à l’esprit l’atmosphère autour des marathoniens Mahut-Isner. Le reste du tournoi n’existait plus, le modeste court no 18 était devenu le centre du All England, même les Nadal, Djokovic ou Federer venaient et repartaient pour suivre quelques jeux de ce morceau d’histoire de leur sport.

John Isner’s epic Wimbledon 2010 match vs. Nicolas Mahut | ESPN Archives
Durée : 08:04

« C’est inimaginable, on ne sait pas si on doit rire ou pleurer », disait alors un Roger Federer fasciné. Aujourd’hui, les défenseurs d’une certaine idée du tennis auraient plutôt envie de verser quelques larmes.