Arte, mardi 23 octobre à 22 h 45, documentaire

On ne verra jamais son visage, juste des plans sur ses mains abîmées et sur ses lèvres sèches. « Il n’y a pas de mot pour décrire ce que j’ai vu », lance, désespéré, Ahmed. Cet homme a passé cinq ans dans une prison libyenne. Cinq années durant lesquelles il a côtoyé des geôliers sans humanité, prêts à toutes les perversités pour humilier leurs prisonniers. Ce qu’Ahmed s’apprête à décrire est tout simplement abject. « Il y avait un homme noir, un Africain, qu’ils [les gardiens] mettaient dans une cellule individuelle. Ils lui disaient : “Cette nuit, tu violes ce type”. » Et s’il refusait, il était torturé à son tour.

Ahmed poursuit : « C’était com­me une maladie. Tous ceux qui étaient dans cette prison, on racontait qu’ils ont subi la même chose. Quand ils te tombent dessus, tu vois toutes les couleurs de la torture.Ils prenaient un balai, ils le fixaient au mur et il fallait que tu te l’enfonces. Imagine à quel point tu te sens anéanti. On est nombreux à avoir subi des viols. Ils te violaient et ils filmaient avec un téléphone. »

Une quête périlleuse

Son témoignage glaçant est d’une infinie tristesse. Face à lui se tient Imad, un militant libyen exilé à Tunis. Avec Ramadan, un ancien procureur, ils tentent courageusement de rassembler et de consigner des témoignages de compatriotes – hommes et femmes – violés par les soldats de Kadhafi, envoyés pour mater la révolte populaire (qui commença en 2011) ; puis par des membres de milices armées après la mort du « guide de la révolution ». Leur but ? Faire traduire les donneurs d’ordres devant la justice internationale. Pour cela, ils sont épaulés par la juriste Céline Bardet, spécialiste des crimes de guerres.

Libye, anatomie d’un crime suit ces deux exilés dans cette quête périlleuse, tant il est difficile de faire parler des hommes qui ont subi des violences sexuelles. L’auteure du film a fait le choix de doubler les témoins, qui s’expriment principalement en arabe. Il est dommage de n’avoir pas préféré le sous-titrage, car les voix françaises effacent celles des Libyens : elles ne transmettent aucune émotion et mettent une barrière froide entre eux et le téléspectateur. Le commentaire, qui manque de sobriété, fait perdre de la force à ce documentaire, qui a pourtant le mérite de montrer que les hommes sont, eux aussi, des cibles de viol lors des guerres.

Libye, anatomie d’un crime, de Cécile Allegra (Fr., 2018, 75 min). www.arte.tv