En Afrique du Sud, les malades plébiscitent l’usage du cannabis
En Afrique du Sud, les malades plébiscitent l’usage du cannabis
Le Monde.fr avec AFP
En septembre, la Cour constitutionnelle avait légalisé la consommation de marijuana à usage personnel pour les adultes.
Des partisans de la dépénalisation de la consommation de cannabis devant la Cour constitutionnelle sud-africaine, à Johannesburg, le 18 septembre 2018. / WIKUS DE WET / AFP
Nduna Ewrong-Nxumalo ne se sépare jamais de sa réserve de thé au cannabis. Depuis longtemps, ce guérisseur traditionnel le prescrit à grandes rasades à ses patients pour soigner la plupart de leurs affections. Avec, assure-t-il, un grand succès. « Cette plante sacrée nous a été léguée par nos ancêtres », rappelle doctement le « sangoma », veste léopard et pantalon kaki, dans son cabinet du centre-ville de Johannesburg. « Les guérisseurs qui exerçaient avant nous nous ont formés à l’utiliser pour remettre les malades sur pied », poursuit le « docteur » Ewrong-Nxumalo. « C’est une plante qui protège et je suis ravi que la loi finisse enfin par le reconnaître. »
En septembre, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a mis fin à une longue saga judiciaire en légalisant la consommation de la marijuana à usage personnel pour les adultes, jusque-là interdite et punie de peines de prison ferme. La plus haute instance judiciaire du pays a laissé deux ans au Parlement pour adopter un nouveau texte.
Pour éviter les cocktails de stéroïdes
Sans l’attendre, tous les malades qui fument de l’herbe pour se soigner ont applaudi les « sages » des deux mains. Ils sont nombreux : une étude commandée en 2007 par le gouvernement a évalué à 26 millions le nombre de Sud-Africains qui ont recours à la médecine traditionnelle. Près de la moitié de la population…
Siphelele Luthuli est une pratiquante convaincue. A 47 ans, elle souffrait d’asthme et s’est soignée en se procurant son cannabis auprès d’un revendeur. « A l’évidence c’était illégal, alors je me fournissais auprès d’un marchand de rue en qui j’avais confiance et qui le récoltait lui-même », reconnaît-elle. Cette commerçante de Durban (nord-est) a opté pour la « dagga », comme on l’appelle ici, pour éviter les cocktails de stéroïdes plus classiques qui lui faisaient prendre du poids.
Son médecin lui a donné l’autorisation de faire infuser son propre thé au cannabis, pour un prix nettement inférieur. « Je le faisais bouillir moi-même sur la foi d’une recette trouvée sur Internet, raconte-t-elle. Mes mesures n’étaient pas très précises, mais je me rassurais en sachant qu’on ne peut pas faire une overdose d’herbe, c’est une plante naturelle. »
Le goût de son breuvage n’était pas très engageant, confie la malade, mais visiblement efficace. « J’en ai pris pendant un an et quand j’ai refait un bilan en 2015, mon médecin m’a demandé comment je faisais, car il ne m’a pas donné d’ordonnance », précise-t-elle. Siphelele Luthuli est aujourd’hui considérée comme guérie.
Une autorisation très encadrée
Tousseur compulsif, Sipho Ntanzi est lui aussi un adepte de la marijuana. Dans sa famille, c’est une évidence médicale, explique-t-il. « Quand j’étais petit, mon oncle avait l’habitude de faire des infusions de cannabis et ça ne dérangeait personne », se souvient ce tondeur de moutons de 23 ans. « Vous n’aviez des problèmes que lorsque vous commenciez à en fumer ».
Pour se dégager les bronches, il fait des cures d’un mois. Un bol de thé au cannabis le matin, un le soir. « Je me sens plus fort, c’est comme si j’avais remis mes compteurs à zéro. » Le jeune homme en est convaincu, sa potion magique est plus efficace que les très chers médicaments modernes. « Les médecins occidentaux n’arrivent pas toujours à identifier votre mal, mais ils ne l’avouent pas et préfèrent vous inventer une maladie, précise Sipho Ntanzi. Nous avons perdu confiance dans la médecine traditionnelle, mais la vérité c’est qu’elle marche. »
Ancestral donc, l’usage médical du cannabis était interdit par les autorités sud-africaines depuis… 1908. L’autorisation accordée par les juges sud-africains est nettement plus encadrée que dans d’autres pays tels que l’Uruguay, le Lesotho ou les Pays-Bas, où la possession et même la vente de la marijuana sont parfaitement légales.
« Une victoire pour les soignants et les patients »
Il n’en est pas question en Afrique du Sud, où l’opposition au cannabis reste féroce. Une association, Doctors for Life, nie les vertus thérapeutiques de la « dagga » et le très conservateur Parti démocrate chrétien africain (ACDP) a mobilisé ses troupes contre le jugement de la Cour constitutionnelle. « Je suis très déçu », a écrit sur Twitter son président, Kenneth Meshoe. « L’Afrique du Sud a déjà un sérieux problème avec la drogue. Beaucoup d’usagers vont finir par tomber dans les drogues dures et finalement dans la criminalité », dit-il.
Un argument balayé par la cheffe de l’association des médecins traditionnels du pays, Phephisile Maseko. « Longtemps, nous n’avons pu dire tout haut que nous utilisions le cannabis. Aujourd’hui, on peut, se réjouit-elle. C’est une victoire réelle non seulement pour nous les soignants, mais aussi pour tous nos clients et patients ». Malgré la décision de la justice, le débat est loin d’être tranché.