Elections de mi-mandat : la fracture américaine gagne les expatriés en France
Elections de mi-mandat : la fracture américaine gagne les expatriés en France
Par Pierre Bouvier
Rencontrer des Américains en France et leur parler politique, c’est prendre le risque d’exposer les fractures qui traversent les Etats-Unis, deux ans après l’élection de Donald Trump.
Donald Trump à Houston, au Texas, pour soutenir le sénateur Ted Cruz, le 22 octobre. / Loren Elliott / AFP
Equité du système judiciaire, changement climatique, immigration illégale, sexisme… Quelques semaines avant les élections de mi-mandat, le 6 novembre, le Pew Research Center dressait le portrait d’une Amérique divisée, républicains et démocrates étant incapables de s’accorder sur la gravité des problèmes auxquels sont confrontés les Etats-Unis.
« Quand l’économie américaine se porte bien, les sujets sociétaux deviennent plus importants », résumait Michael Dimock, le président du centre de recherche, au début du mois d’octobre à Paris, pour expliquer cette atomisation des points de vue. Pour prendre la mesure de cette fracture, il n’est pas nécessaire d’aller bien loin, tant ces clivages partisans se répercutent de l’autre côté de l’Atlantique, chez les Américains résidant en France.
72% of Democratic voters say climate change is a very big problem for the country, compared with just 11% of Republ… https://t.co/MdlkcM2UqY
— pewresearch (@Pew Research Center)
Des démocrates encore sonnés, mais mobilisés
Alyssa Fischer, Alexandre Rehbinder, Toni Ross et Natali Philip se sont arrêtés devant le stand de Vote From Abroad, un service fourni par l’organisation Democrats Abroad, qui aide les Américains à voter depuis l’étranger, samedi 20 octobre. A l’ombre de la librairie Shakespeare and Company, dans le 5e arrondissement de Paris, transis et encore groggy deux ans après la défaite de Hillary Clinton, ils reflètent l’état d’esprit de nombreux électeurs démocrates.
Alexandre Rehbinder, 25 ans, qui travaille dans un cabinet d’avocat, espère une « vague bleue au Congrès », c’est-à-dire une victoire démocrate le 6 novembre. Après deux ans de « trumpisme », il se dit « amer », mais revigoré de « voir les gens se mobiliser ». Alyssa Fischer estime nécessaire de voter parce que « depuis des siècles, les femmes se battent pour ce droit et ne pas l’exercer serait leur manquer de respect », au regard notamment des positions sexistes de l’actuel locataire de la Maison Blanche.
Toni Ross, un artiste de passage à Paris, est plus résigné. Il confie « ne plus trop savoir qu’attendre de cette élection, les deux dernières années ayant été tellement décevantes ». Natalie Philip est tout aussi désabusée : « Notre dernière élection présidentielle a montré qu’il y avait peu de choses à espérer. Là, il faut juste espérer que les gens votent. »
« It’s the economy, stupid », nouveau slogan républicain ?
Réunis sur la terrasse ensoleillée de l’appartement de Marc Porter, dans le 15e arrondissement, le président des « républicains d’outre-mer » pour la France (Republicans overseas), Rachel Herring, Olivia Magaziner, Mario Lopez et Robert Richesin, quatre étudiants âgés d’une vingtaine d’années, préparent des « éléments de langage » à délivrer aux médias français au lendemain des élections. Paul Haskell, un Américain né à New York mais installé en France depuis 1964, s’est joint à la réunion.
Marc Porter, Rachel Herring, Olivia Magaziner, Mario Lopez et Richard Richesin, le 20 octobre.
A les en croire, la politique de Donald Trump aurait déjà fait des miracles pour l’économie américaine. « Avec Trump, il y a des résultats, que je perçois dans ma famille : une nouvelle voiture, ma sœur qui vient de finir ses études a décroché un travail », assure ainsi Rachel Herring. Le retraité Paul Haskell résume d’une formule le ressort de cette élection – « it’s the economy, stupid » –, un écho malicieux à une phrase emblématique de la campagne de l’ancien président démocrate Bill Clinton. Tout juste consent-il à reconnaître que le « style » de Donald Trump « dérange ».
L’immigration : « Jobs vs Mobs »
Autre sujet porteur dans le camp républicain : l’immigration. Alors que la cohorte de migrants honduriens s’est récemment invitée dans la campagne, Olivia Magaziner fait de la lutte contre l’immigration clandestine sa principale préoccupation : « Il est important d’empêcher des criminels d’entrer aux Etats-Unis », assène-t-elle.
Un point de vue partagé par Marc Porter, l’hôte de la réunion, qui voit dans cette « caravane » une « invasion ». Un point de vue tranché en ligne avec les slogans de campagne du Parti républicain et visible sur les affiches brandies derrière le président Trump lors de son meeting de soutien à Ted Cruz, le 22 octobre au Texas : « Jobs vs Mobs ». Une formule associant les démocrates à une « horde » prête au lynchage (« mob »), en référence à l’attitude du parti lors de l’audition de Brett Kavanaugh, alors que les républicains produiraient des emplois (« jobs »).
Par delà la « menace » intérieure de l’immigration, Mario Lopez, étudiant de 22 ans, s’intéresse lui à un autre danger qui révèle à ses yeux la stature internationale de Donald Trump. « Le président tient tête à la République populaire de Chine, qui est la menace numéro un sur la scène mondiale », se félicite-t-il, avant de poursuivre : « Trump ne tergiverse pas face aux problèmes, il tente de nouvelles solutions. Qu’on le laisse au moins essayer. »
Des préoccupations « sociétales » chez les démocrates
Les préoccupations des électeurs démocrates sont d’une tout autre nature. Devant la Shakespeare and Company, Alexandre Rehbinder estime que le principal enjeu du moment est la transparence en politique : « Il s’agit de mettre à bas la ploutocratie qui nous gouverne, tempête-t-il. Je soutiens un gouvernement qui représente le peuple et non quelques personnes fortunées. » En 2016, il avait soutenu Bernie Sanders.
Toni Ross, l’artiste de passage à Paris, est, lui, consterné par le retour du débat sur l’avortement : « Nous sommes le seul pays à débattre là-dessus, même l’Irlande l’a légalisé », se désole-t-il. Natalie Philip va plus loin : au-delà de la question de l’avortement, ce qui motive son engagement, c’est « l’inconduite sexuelle, la définition du consentement et plus largement ce que nous sommes comme pays ». Alyssa Fischer ajoute à cette longue liste de thèmes à charge contre la présidence Trump « le changement climatique », « l’inégalité du système pénitentiaire » ou encore « le suprémacisme blanc ».
Entre espoir et résignation
L’issue des élections ne semble en tout cas pas angoisser outre-mesure le petit groupe de républicains. « Historiquement, le parti du président perd. Au Sénat, on devrait gagner des sièges, à la Chambre, ce sera plus dur », observe Marc Porter. Paul Haskell estime, lui, que les républicains peuvent garder le Congrès, parce que l’économie se porte bien...
Chez les sympathisants démocrates, la gueule de bois persiste. « Ils m’ont déçu : ils ont du mal à rendre leur message intelligible, alors que celui des républicains est plus tranché, clivant. Nous sommes devenus complaisants, en nous contentant d’être opposés à Trump, sans penser comment envisager la suite », relève Toni Ross, qui se refuse à « mettre trop d’espoir dans cette élection ».
Alyssa Fischer, elle, est franchement pessimiste : il n’est « pas certain que les démocrates arrivent à reprendre la Chambre, en raison du “gerrymandering” », cette technique de « charcutage » électoral consistant à redécouper les circonscriptions pour donner l’avantage à un parti ou à son candidat.
Quant à Alexandre Rehbinder, il pense déjà au coup d’après et se focalise sur l’arrivée attendue au Sénat d’un nombre record de femmes : Stacey Abrams, candidate démocrate au poste de gouverneur de Géorgie, ou Heidi Heitkamp, candidate à sa réélection dans le Dakota du Nord. Par ailleurs, il compte sur « la 48e circonscription de Californie (Orange County) », où le républicain sortant Dana Rohrabacher est opposé au démocrate Harley Rouda. Un vent de nouveauté dans lequel il puise des motifs d’espoir en prévision des élections de 2020, et du match retour de la présidentielle de 2016.