« Minority Report » : voyage au bout de l’obsession sécuritaire
« Minority Report » : voyage au bout de l’obsession sécuritaire
Par Samuel Blumenfeld
Steven Spielberg signe un grand film de science-fiction, vision glaçante d’un futur totalitaire.
Nous sommes en 2054. Dans le cadre d’un programme expérimental cantonné au seul district de Washington, le ministère de la justice peut arrêter les criminels avant leur passage à l’acte. Des jumeaux et une jeune fille, Agatha, baptisés « precogs » en raison de leurs pouvoirs médiumniques, sont gavés de drogues synthétiques et isolés dans une piscine sous le regard de la brigade « précrime », qui guette leurs prédictions. Le policier John Anderton (Tom Cruise) regarde et interprète sur un écran télépathique le film des crimes futurs, en serviteur zélé d’un pouvoir qui a réalisé l’impunité zéro. Sans se douter qu’il se verra plus tard sur ce même écran, en flagrant délit d’homicide.
A ce moment du film surgit une révélation qui n’a pas du tout la valeur explicative qu’on lui attache communément. On s’attend à ce qu’Agatha, la plus douée du trio de « precogs », révèle à John Anderton les raisons pour lesquelles un complot a été tissé autour de lui. Or, Agatha se met à avoir des ratés dans ses visions. Elle ne décrit plus un futur certain, mais un futur parallèle, et raconte à John Anderton le devenir possible de Sean, son fils, s’il n’avait pas mystérieusement disparu six ans auparavant.
On a alors le sentiment que le film recommence à l’identique. Revoilà John Anderton père à la recherche de son fils, revoici Agatha, jeune fille traumatisée par l’assassinat de sa mère. Tout recommence donc, à la différence près que le lien qui unit les deux personnages – John Anderton a besoin d’Agatha pour expliquer pourquoi elle a deviné en lui un criminel – est maintenant devenu intime.
Secret de famille
Cette manière de refaire connaissance entre une fille orpheline et ce père endeuillé provoque, à côté du plaisir que procure la maîtrise de Steven Spielberg et de l’interprétation envoûtante de Samantha Morton et de Tom Cruise, une inquiétude aussi vive. Le cinéaste s’adresse à son spectateur comme à un orphelin. On pourrait croire que son film est un secret de famille qu’il consent à dévoiler. C’est tout simplement l’histoire bouleversante de deux individus qui n’arrivent pas à enterrer leurs morts. Un « rapport minoritaire » concerne celui qui aurait pu avoir un avenir parallèle en ne commettant pas le crime dont il est virtuellement accusé.
Ce concept d’uchronie est central dans l’œuvre de Philip K. Dick et dans sa nouvelle Rapport minoritaire, publiée en 1956 et adaptée par Spielberg. Mais le réalisateur américain confère à « rapport minoritaire » un sens supplémentaire, extrajuridique, purement existentiel, en désignant également celui qui n’a pas accompli son destin, à l’image du fils disparu de John Anderton.
« Les morts ne meurent pas »
Minority Report constitue la vision la plus plastiquement réussie au cinéma de notre futur depuis Metropolis, de Fritz Lang, et Blade Runner, de Ridley Scott, par son utilisation magistrale de la technologie numérique. Dans ce futur où l’inconscient a été colonisé, nos désirs sont désormais soumis à la seule satisfaction consumériste. « Les morts ne meurent pas », explique Agatha à John Anderton. Cette assertion mystérieuse ne trouve pas seulement son actualisation dans les hologrammes de son fils disparu que John Anderton regarde chez lui tous les soirs.
Il y a quelque chose d’encore plus fou dans le projet de Spielberg : il vise à ancrer ses personnages dans la généalogie de leurs morts, comme si seule la mémoire d’un passé sans cesse entretenu offrait une alternative à un futur désincarné.
Minority Report - Official® Trailer 1 [HD]
Durée : 02:06
Minority Report, de Steven Spielberg. Avec Tom Cruise et Samantha Morton (E-U, 2002, 145 min).