« Novak, tu es venu jouer les qualifications ? » Dimanche après-midi 28 octobre, dans les couloirs de Bercy, Benoît Paire vient de valider sa place pour le tableau final du Masters 1000 de Paris et interpelle le Serbe en route pour s’entraîner sur le court central. Le Serbe est hilare et échange quelques mots – en français – avec l’Avignonnais. Novak Djokovic, qui jouera mardi contre le Portugais João Sousa, a retrouvé le sourire, son tennis et lorgne avec insistance sur la place de numéro un mondial de Rafael Nadal, qui le devance de seulement 215 points.

Vainqueur à Shanghaï le 14 octobre, il reste sur une série de 27 victoires en 28 rencontres. A 31 ans, il est redevenu lui-même : ce monstre de régularité qui avait imposé sa griffe sur le tennis mondial entre 2011 et 2016. Les états d’âme des derniers mois paraissent bien loin. En mars, il évoquait pourtant auprès de ses proches l’idée de raccrocher un mois après son opération au coude.

Mais à en croire son entraîneur Marian Vajda, « Nole » n’est pas seulement aussi fort qu’avant. Il l’est encore davantage. « J’ai trouvé un nouveau Novak, un Novak même encore meilleur », affirmait le Slovaque en Chine. Voici trois raisons de le croire.

  • Un mental remis à neuf

Il l’a dit lui-même après sa victoire à Shanghaï : « Vous avez vu le nouveau Novak. J’ai dû me réinventer et trouver ma propre formule pour le succès. Je l’ai trouvée et j’espère la garder le plus longtemps possible. »

Comme toujours au tennis, tout part de la tête. Et à ce niveau-là, Novak Djokovic a laissé derrière lui ses doutes nés paradoxalement de la victoire tant désirée à Roland-Garros en 2016. En juillet 2017, il disait stop après une année d’errance née de ce sentiment de vide après avoir remporté le dernier tournoi du Grand Chelem qui lui échappait encore.

La pause de six mois a été bénéfique. Martin Vajda, son entraîneur de toujours, a remplacé Boris Becker (ainsi qu’Andre Agassi et Radek Stepanek, remerciés au printemps) et limité l’influence de Pepe Imaz, controversé coach mental que le joueur consulte encore à l’occasion du côté de Marbella en Espagne. « [Cette période] loin du circuit m’[a] permis de me régénérer en termes de motivation, d’inspiration, mais aussi de décider si je devais faire des ajustements dans mon jeu et avec ma raquette », souligne Djokovic.

La paternité l’a également changé. Père d’un fils, né en octobre 2014, et d’une fille, née en septembre 2017, le Serbe confie que « [s] a vie ne se résume plus au tennis. » A propos de son fils, « Nole » avait d’ailleurs glissé, après Wimbledon, qu’il avait été « l’une de [ses] plus grandes sources de motivation, si ce n’est la plus grande ». Le « Djoker » n’est peut-être plus cette machine à gagner dont on se demandait si elle était vraiment humaine, mais il semble moins mettre au pied de la lettre les conseils d’un Imaz sur la nécessité de relativiser la défaite.

Auprès de ses adversaires, Djokovic en impose de nouveau. Comme entre 2011 et 2016 quand il avait en partie match gagné en entrant sur les courts. « L’une des clés, c’est l’aura. En ce moment, je ne pense pas qu’il y ait un joueur qui parte confiant au moment de défier un Djokovic à son top niveau », assure David Law, commentateur de tennis pour des chaînes britanniques.

A l’entraînement avec son coach, Marin Vajda, le 1er octobre à Belgrade / PEDJA MILOSAVLJEVIC / AFP

  • Un service au top

« Cela a toujours été une arme cachée, le coup très important dans mon jeu, le plus important », jure Novak Djokovic à propos de son service. Traduction : quand ce service va, Djokovic va. Le Serbe n’a évidemment pas la force de frappe et l’envergure d’un Marin Cilic (n°6 mondial) ou d’un Kevin Anderson (n°8), mais dispose d’autres qualités dans le domaine – « justesse et efficacité plutôt que vitesse et puissance », assure-t-il.

A Shanghaï, où le Serbe n’a pas cédé une seule fois son engagement, cela s’est vu. Ou plutôt, cela ne s’était jamais vu auparavant. « Je ne suis pas sûr que ça me soit déjà arrivé. C’est vraiment une des meilleures semaines de ma carrière dans ce secteur. »

Troisième joueur de l’histoire à remporter un Masters 1000 sans se faire breaker, Djokovic a gagné 85 % de points après son premier service au cours du tournoi (158/186). Connu pour être l’un des meilleurs relanceurs de son sport, le joueur de 31 ans élargit encore sa palette, lui qui a dû modifier son geste au service après son opération au coude.

Son changement de raquette en début d’année n’est pas étranger à ce regain dans le domaine : « J’ai le sentiment que j’ai gagné en puissance et en angle au service », confiait-il en avril.

  • Une concurrence atone

Ce retour au sommet express a aussi été facilité par l’effritement de la concurrence. Quand celle-ci n’est pas tout bonnement absente. L’actuel numéro deux mondial n’a plus croisé la route du Suisse Roger Federer depuis deux mois (victoire en finale à Cincinnati) et celle de l’Espagnol Rafael Nadal depuis trois mois (victoire en demi-finales de Wimbledon).

Le décompte se perd pour deux autres de ses « meilleurs ennemis », déjà rangés des voitures pour cette saison 2018 : l’Ecossais Andy Murray, touché à la hanche, n’a d’ailleurs quasiment pas joué cette année, alors que le Suisse Stan Wawrinka se remet difficilement d’une blessure qui l’a éloigné six mois des courts.

Et Djokovic a encore de quoi sourire à l’approche du tournoi de Paris cette semaine et du Masters de Londres (à partir du 11 novembre). Avant sa victoire à domicile à Bâle dimanche, Roger Federer réalisait une deuxième partie de saison en deçà des attentes, et les genoux de Nadal n’apprécient pas les surfaces rapides comme celle de Bercy et de Londres.

Guère plus de résistance à opposer au Serbe parmi les autres prétendants : Juan Martin Del Potro, à nouveau blessé, ne devrait pas rejouer en 2018, Alexander Zverev (n°5 mondial) s’est fait balayer par Djokovic à Shanghai (6/1, 6/2), et la relève assurée par Stefanos Tsitsipas, Denis Shapovalov ou Daniil Medvedev paraît encore un peu tendre.

Noval Djokovic peut devenir le premier joueur à finir la saison numéro un mondial après être sorti du Top 20 la même année (n°22 en juin). Le tennis aussi a ses « remontadas ».