Harold López-Nussa : une journée formidable
Harold López-Nussa : une journée formidable
Par Yannick Le Maintec
Le pianiste cubain Harold López-Nussa publie « Un Día Cualquiera », une journée ordinaire.
Quand vous discutez avec Harold López-Nussa, vous êtes frappé par sa gentillesse infinie. Il est pourtant l’un des plus doués de sa génération. Qui a dit que ça devait être incompatible ? Le pianiste cubain nous a aidés à décrypter son dernier album.
Harold López-Nussa Trio / Gabriel Bianchini
Succédant à Havana Paris Dakar, 2015, et El Viaje, 2016, Un Día Cualquiera est un retour aux sources pour López-Nussa, faisant la liaison avec New Day, paru en 2013. De New Day, Un Día Cualquiera reprend Cimarrón pour le positionner en introduction comme pour souligner la transition. Le pianiste lui imprime une tension dramatique inédite et lui attribue une nouvelle fonction : présenter le trio.
Un nouveau trio ? Pas vraiment. Au côté du tonitruant batteur Ruy López-Nussa, le frère d’Harold, le contrebassiste Gastón Joya a succèdé à Alune Wade et à Felipe Cabrera. Gastón était le condisciple de Ruy pendant ses études. Ils jouent tous les trois ensemble depuis cette époque. « Ses plus proches amis », confie le pianiste.
Une famille de musiciens
Harold López-Nussa appartient à la tradition des pianistes cubains formés dans les prestigieux conservatoires de La Havane. Un parcours classique pour une formation classique : École élémentaire Manuel Saumell, Conservatoire Amadeo Roldán, Instituto Superior de Artes (ISA).
Harold est tombé dans la musique quand il était petit. Son oncle Ernán est un pianiste de renommée mondiale, son père Ruy, un batteur réputé, et sa maman disparue était professeur de piano émérite. Une des jolies mélodie de Un Día Cualquiera s’intitule Ma Petite dans la Boulangerie. Harold l’a écrite pour sa fille. Les López-Nussa ont une longue histoire avec la France. La grand-mère française de Harold s’est mariée avec son grand-père cubain à la fin des années 50. Quand arrive la révolution, ils décident de rester. Ça arrive.
Dans Un Día Cualquiera, Harold rend par deux fois hommage au compositeur Ernesto Lecuona. Comme une évidence. Il explore soigneusement le motif de Danza de los Ñañigos, soutenu par la basse de Gastón et la batterie de Ruy. Y La Negra Bailana, tube s’il en est, bénéficie d’un traitement plus jazz. Après l’exposition du thème, il l’emmène ailleurs pour, l’air de rien, mieux y revenir. La belle ouvrage. Quand l’art de López-Nussa se mêle avec habilité et bonheur à celui de Lecuona.
Se réapproprier les classiques comme la musique populaire. Le boléro En La Distancia de César Portillo De La Luz est magnifié par le trio. Dans l’enfiévré Conga Total, Harold glisse le thème de Rafael Hernández El Cumbanchero. Avec Une Tarde Cualquiera En Paris, le pianiste rend un hommage au regretté Bebo Valdés. Se glisser dans les habits du Maestro, un exercice de style, une posture.
Les chants des cérémonies afro-cubaines ne l’ont jamais quitté
Dans Un Día Cualquiera, il y a tout Cuba. Elegua et Hialeah semblent former un dyptique. Dans le premier, le pianiste transpose les chants yoruba et les rythmes des tambours Batá dans le format jazz trio. Harold a grandi dans le Centro Habana où les cérémonies religieuses afro-cubaines sont fréquentes. « Je pouvais les entendre le soir depuis chez moi. » On imagine le jeune Harold s’endormir sur fond de chants afro-cubains. « Cela ne m’a jamais quitté. »
Ces résurgences afrocubaines ponctuent le très beau Hialeah et concluent l’enregistrement avec la descarga Mi Son Cerrao. La descarga, forme de jam-session enregistrée dans les années 50 par Israel Cachao López. Comment peut enregistrer une descarga ? Il y a des techniques, me souffle Harold, des patterns qui permettent lancer la jam. Il reconnaît en souriant que rien n’est pas comparable avec le live.
Le pianiste en a donné un magnifique exemple cet été au North Sea Jazz Festival de Rotterdam où il avait invité le fameux conguéro Pedrito Martinez à croiser le fer.
Chez les pianistes, il y a les introvertis, les expansifs, les habités, ceux qui restent dans le contrôle, ceux qui se la jouent. Harold López-Nussa fait partie des fiévreux, de ceux qui se laissent emporter. Cette journée ordinaire est formidable, mais jamais aussi formidable que ce que peut vous offrir le pianiste sur scène.
Harold López-Nussa Trio en concert le 31 octobre 2018 au Duc Des Lombards
Harold López-Nussa Trio : Un Día Cualquiera (2018, MackAvenue)