L’économiste chinois Zhang Weiying, lors du Forum Boao pour l’Asie, à Boao, dans la province de Hainan (sud de la Chine), en mars 2015. / Yang Guanyu / XINHUA

Alors que la guerre commerciale avec les Etats-Unis commence à peser sur la croissance chinoise, Zhang Weiying, éminent économiste de l’université de Pékin, jette un pavé dans le Yangtsé. Ceux qui expliquent le décollage économique du pays depuis quarante ans par un prétendu « modèle chinois » de croissance se fourvoient et sont en partie responsables des tensions actuelles avec les Etats-Unis, a expliqué cet économiste libéral, le 14 octobre lors d’une lecture à l’université de Pékin, qui vient tout juste d’être rendue publique.

A ses yeux, si, pendant toutes ces années, la Chine a bénéficié d’une croissance exceptionnelle, ce n’est pas parce qu’elle est dotée d’un parti unique et d’un secteur public encore très puissant – les deux caractéristiques du supposé « modèle chinois » –, mais parce qu’elle a mené une politique libérale. Non seulement les économistes qui ont promu ledit « modèle chinois » sont dans l’erreur, mais ils ont aussi inquiété les Occidentaux, en laissant accroire à une confrontation entre deux schémas.

Même si le président, Xi Jinping, met davantage en avant le concept de « rêve chinois » que celui de « modèle », nul doute qu’il adhère à celui-ci. Il ne cesse de réaffirmer l’autorité du Parti communiste dans tous les domaines, y compris l’économie, et il a encore récemment soutenu les entreprises publiques, objet de vives critiques de la part des Occidentaux. Le point de vue de Zhang Weiying est donc à la fois iconoclaste et très courageux. Les discussions provoquées par son analyse ont d’ailleurs été rapidement censurées sur les réseaux sociaux. Le texte, disponible dans un premier temps sur le site de l’université, en a été retiré.

« Pour la situation actuelle, je vous laisse juges »

Pourtant, l’analyse de celui que l’on a surnommé le « Friedrich Hayek chinois » en raison de ses idées libérales, ne constitue pas une surprise. Ce diplômé d’Oxford de 59 ans s’était déjà vu retirer en 2010 son titre de doyen de l’école de gestion Guanghua en raison de ses analyses.

Par ailleurs, le 15 juin, invité à conclure un séminaire sur l’économie chinoise organisé à l’Ecole des hautes études en sciences sociale de Paris (EHESS), Zhang Weiying avait été on ne peut plus clair. Outre le prétendu modèle chinois, il avait dénoncé une deuxième « idée fausse » : « Croire que la libéralisation de l’économie peut se poursuivre avec succès sans démocratisation politique. »

Classant les différentes phases politiques qu’a traversées le pays depuis l’arrivée des communistes au pouvoir, il avait estimé que, sous Mao, la Chine avait connu « un leadership fort et des idées fausses » et qu’après les années de réformes menées par Deng Xiaoping – qu’il approuve –, la Chine était retombée, de 2003 à 2012, dans une période caractérisée par « un leadership ­faible et des idées fausses ».

Selon lui, les responsables politiques d’alors, Hu Jintao et Wen Jiabao, étaient davantage des « bureaucrates » que des « leaders politiques ». Si la Chine a enregistré une croissance record au cours de cette décennie, ce n’est, à l’en croire, que parce qu’elle a bénéficié des dividendes de la politique libérale menée de 1978 à 2003. « Pour la situation actuelle, je vous laisse juges », avait-il conclu, avant de promouvoir la nécessaire liberté dont devraient jouir la presse et les universitaires. Une liberté que Zhang Weiying continue de revendiquer haut et fort.