Des milliers de personnes, dont 25 000 à Bratislava, ont participé vendredi 2 mars à des manifestations anti-corruption en hommage au journaliste Jan Kuciak et à sa fiancée Martina Kusnirova, retrouvés tués par balles dimanche. / ALEX HALADA / AFP

Les meurtres du journaliste Jan Kuciak et de sa compagne Martina Kusnirova, retrouvés tués par balles à leur domicile dimanche dans leur maison à Velka Maca, n’ont pas fini de secouer la Slovaquie. Dernière conséquence politique : le président slovaque Andrej Kiska a lancé un appel, dimanche 4 mars, à un remaniement profond du gouvernement ou à des élections anticipées.

« Je vois maintenant deux solutions : un remaniement en profondeur du gouvernement (…) ou des élections anticipées qui seraient la solution la plus naturelle dans nombre de pays démocratiques », a déclaré Andrej Kiska dans une déclaration télévisée consacrée au meurtre du journaliste qui a provoqué un choc dans le pays.

Le chef de l’Etat a également déploré « l’arrogance du pouvoir » en place et l’absence de mesures pour sortir de « la crise de confiance » dans laquelle l’affaire a plongé l’Etat et ses institutions. « J’ai attendu une semaine pour voir quelles mesures et décisions politiques le gouvernement allait prendre pour essayer d’apaiser les tensions et rétablir la confiance », a expliqué le président slovaque.

« Aucune solution n’est évoquée. Certains ont démissionné, mais je ne vois aucun plan pour sortir le pays de la crise de la confiance ».

L’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée relance le débat sur la liberté de la presse et la corruption, tant en Slovaquie qu’en Europe. D’autant plus qu’il intervient quelques mois après l’assassinat à Malte, en octobre 2017, de la journaliste Daphne Caruana Galizia, qui avait dénoncé la corruption sur cette île méditerranéenne. Jan Kuciak s’était lui aussi spécialisé dans les affaires de corruption, et enquêtait sur celles concernant les possibles liens entre le monde des affaires et le parti SMER-SD du Premier ministre Robert Fico. Le journaliste de vingt-sept ans a été abattu alors qu’il était sur le point de publier un article sur les liens présumés entre des hommes politiques slovaques et des hommes d’affaires italiens soupçonnés d’être liés à la mafia calabraise, la’Ndrangheta, opérant en Slovaquie.

Sept Italiens libérés au bout de quarante-huit heures

Des milliers de personnes, dont 25 000 à Bratislava, ont participé vendredi 2 mars au soir à des manifestations anti-corruption, organisées en Slovaquie et à l’étranger. Le chef du gouvernement Robert Fico a accusé l’opposition d’instrumentaliser ce meurtre comme un « outil politique pour faire sortir les gens dans la rue ».

Deux proches collaborateurs du Premier ministre Robert Fico ont quitté leur poste après la publication posthume de l’article de Jan Kuciak : sa conseillère Maria Troskova et le responsable du conseil de Sécurité nationale Viliam Jasan. Ils ont pourtant tous deux nié leur implication dans l’affaire. Le ministre de la Culture a quant à lui démissionné en signe de protestation contre ces deux meurtres.

Samedi matin, la police slovaque a libéré sept Italiens interpellés deux jours plus tôt à Michalovce, dans l’est du pays. « Dans les délais légaux (48 heures) mis à sa disposition, l’enquêteur a vérifié les faits nécessaires pour porter (éventuellement) des accusations. Au bout de 48 heures, les détenus ont été libérés », a annoncé samedi 3 mars la police dans un communiqué, sans d’autres détails.

Robert Fico avait qualifié les journalistes de « simples hyènes idiotes »

Selon les médias slovaques, parmi eux figuraient l’homme d’affaires Antonino Vadala et plusieurs membres de sa famille, que Jan Kuciak soupçonnait de liens avec la mafia calabraise, la’Ndrangheta, et de contacts avec le gouvernement slovaque. Le ministre de l’Intérieur Robert Kalinak a indiqué sur Facebook que la police italienne, Europol, le FBI et Scotland Yard avaient proposé de donner un coup de main aux enquêteurs slovaques.

L’ONG française Reporters sans frontières (RSF) a demandé aux responsables politiques européens de s’abstenir de saper la sécurité des journalistes. « Les leaders européens ont la responsabilité de défendre le journalisme et non pas de l’affaiblir », a déclaré à l’AFP Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF, à l’issue d’une rencontre avec Robert Fico.

Le Premier ministre slovaque avait par le passé qualifié les journalistes de « simples hyènes idiotes » ou « sales prostituées anti-Slovaques ». Après le meurtre de Jan Kuciak, il a cependant rencontré les responsables des principaux médias pour leur assurer que « la protection de la liberté d’expression et la sécurité des journalistes » étaient « une priorité » pour son gouvernement.