Les tops africaines, des belles qui ne se taisent pas
Les tops africaines, des belles qui ne se taisent pas
Par Maryline Baumard
De plus en plus présents sur les podiums, des mannequins du continent cassent les clichés sur l’Afrique et sensibilisent au sort des réfugiés.
La Somalienne Halima Aden et la Soudano-Australienne Adut Akech pendant un dîner de gala de la Fashion Week de New York, le 9 septembre 2018. / DIMITRIOS KAMBOURIS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
D’abord, elles se sont battues pour se faire une place. Aujourd’hui, c’est leur voix, leur message qu’on commence à capter. Après des décennies de lutte pour rejoindre les podiums et la « une » des magazines qui comptent, les mannequins noirs africains veulent faire entendre un message politique sur leur continent. Sur les réfugiés, la place des migrants dans les sociétés d’accueil et leur capacité à réaliser leurs rêves, leurs prises de parole multiformes veulent aussi casser les clichés que le monde occidental traîne sur l’Afrique.
En chef de file du moment : Adut Akech. La Soudano-Australienne, qui allie le port de tête altier de ces reines des mythologies lointaines au pas chaloupé de ces « grandes filles luisantes » qu’invoque le poète Saint-John Perse, a été rebaptisée « mannequin de la saison » par le magazine Elle pour avoir, à 19 ans, incarné cet été la très statutaire mariée Chanel lors de la Fashion Week parisienne. Une véritable victoire, certes, mais qui ne lui suffit pas.
La Soudano-Australienne Adut Akech en mariée du défilé haute couture automne-hiver 2018-2019 de Chanel, à Paris, le 3 juillet 2018. / ALAIN JOCARD / AFP
Car Adut Akech a aussi des choses à dire. En septembre, sur la chaîne CNN Style, elle rappelait que, même si elle devenait « le mannequin le plus riche du monde », elle resterait « toujours une réfugiée ». La jeune femme, arrivée en Australie à 7 ans après avoir fui avec sa mère les combats de ce qui n’était pas encore le Soudan du Sud vers un camp au Kenya, n’a rien oublié du combat quotidien pour avoir ne serait-ce qu’un repas. « En arrivant en Australie, j’ai promis à ma mère de terminer mes études, de lui acheter une voiture et de faire quelque chose de ma vie […]. Peu importe qui vous êtes, d’où vous venez ou ce que vous avez, tant que vous avez un rêve il est réalisable », a-t-elle expliqué au Vogue australien en guise de message d’espoir pour les autres réfugiés.
Faire bouger les représentations
Aujourd’hui, elle veut réveiller l’opinion, la sensibiliser à leur sort et à l’avenir auquel ils ont aussi droit dans leur société d’accueil, comme l’avait fait avant elle un autre mannequin, Alek Wek, réfugiée soudanaise elle aussi et auteur de From Sudanese Refugee to International Supermodel (« de réfugiée soudanaise à top-modèle », non publié en France) en 2007. Un témoignage qui n’avait pas résonné bien fort dans un contexte international où le thème n’était pas encore sur la table. Aujourd’hui il l’est, et Adut, elle, est la star du moment.
En septembre, elle a posé pour le numéro spécial mode de rentrée de M, le magazine du Monde. Un mois avant que le même hebdomadaire s’arrête, cette semaine, sur la beauté afro, mettant en valeur les visages d’une petite dizaine de jeunes tops en train de conquérir New York ou Paris. D’Imaan Hammam à Haddy Ndure, en passant par Ayobami Okekunle ou Blesnya Minher, toutes ces jeunes femmes font aussi à leur manière bouger les représentations de l’Afrique.
Alek Wek, d’origine soudanaise et ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, à l’ONU, à New York, le 16 septembre 2016. / Slaven Vlasic / AFP
Ayobami Okekunle raconte le Nigeria où elle vivait il y a quelques années encore, avant d’être repérée lors d’un casting en ligne. Blesnya Minher se fait, elle, le porte-voix d’une autre Afrique, plus rurale, et n’hésite pas à rappeler qu’elle est née dans un petit village angolais « d’une beauté naturelle incroyable. Il y a des rivières, des forêts, des animaux sauvages, et beaucoup de diamants », explique-t-elle mieux qu’un rapport sur les richesses naturelles du continent. Après avoir raconté la solidarité entre voisins, elle conclut que « dans ce genre de lieu, les enfants sont bien élevés, car, même sans beaucoup de moyens financiers, nous grandissons dans un environnement aimant, conscients du sens de la vie ». Aussi superficiels que puissent paraître ces propos, ce message-là est nécessaire à la reconstruction de l’Afrique dans les inconscients occidentaux où sont enracinés trop de clichés sur une ruralité de misère.
Le mannequin d’origine marocaine et égyptienne Imaan Hamman (stylisme Charlotte Collet). / Olivier Hadlee Pearch pour M Le magazine du Monde
Plus politique, Imaan Hamman fait aussi partie de celles qui revendiquent leur africanité. « Je suis mi-marocaine mi-égyptienne mais je suis née à Amsterdam. Je suis musulmane et hyperfière de mon héritage et de mes racines. Je veux être un modèle pour toutes les jeunes filles qui se battent contre le racisme et pour celles qui n’acceptent pas leur look différent ou la couleur de leur peau », insiste la jeune femme. « J’ai toujours eu Naomi Campbell comme modèle de femme noire de pouvoir. Mais je reconnais qu’il n’y a pas beaucoup de filles arabes dans ce milieu, alors, en tant que mannequin africain arabe, j’essaie d’ouvrir des portes pour davantage d’entre elles. » Le sujet est clairement énoncé. Le combat aussi. Même s’il ne date pas d’hier.
« Appartenance à une classe dominante »
Ces prises de parole iront-elles plus loin ? La question reste ouverte. Un des rares à penser le sujet de l’intérieur est Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode. Il déclarait dans un article du journal suisse Le Temps du 3 septembre 2017 que « la mode n’a jamais cherché à être un miroir de la société dans son ensemble. Au contraire, il s’agit à l’origine de fournir à des individus les signes d’appartenance à une classe sociale dominante. Or, la plupart des marques de luxe sont européennes, et encore enracinées dans les traditions aristocratiques européennes, qu’elles en soient conscientes ou non ».
Le modèle angolais Blesnya Minher (stylisme Charlotte Collet). / Olivier Hadlee Pearch pour M Le magazine du Monde
Reste que le monde bouge, et que les mannequins ni blancs ni blonds s’installent. A l’automne 2017, le site The Fashion Spot a même calculé que ces tops « issues de la diversité », selon la formule consacrée, s’étaient vu confier un tiers des campagnes.
Est-ce parce qu’ils manquaient trop à l’appel ? Parce que les canons de la beauté sont en train de s’ouvrir ? Ou pour satisfaire une classe supérieure noire fortunée qui cherche des porte-griffe qui lui ressemblent ? Difficile de démêler pourquoi cette industrie qui a trop longtemps nourri les imaginaires de blondes aux yeux clairs tente de rattraper son retard. Quelle que soit l’explication, l’Afrique compte désormais dans le secteur, où elle rend parfois visibles d’autres sujets qu’elle-même. Ainsi du modèle somalien Halima Aden, qui a réussi à s’imposer sur les podiums avec son hidjab, se faisant le porte-voix d’une femme musulmane moderne. Et avec ce geste elle ouvre un autre débat, au moins aussi politique que la représentation de l’Afrique.